La présence d'esprit. Mélancolie et configuration narrative
Résumé
Nous nous proposons d'analyser le processus de configuration temporelle de l'approche mélancolique du récit. En tissant un dialogue entre, d'un côté, Temps et récit de P. Ricoeur et, de l'autre, Mélancolie et Manie de L. Binswanger, nous tenterons de mettre en évidence la dimension active propre au refus de synchronisation qui accompagne l’interprétation mélancolique des textes narratifs. Dans la première partie de notre exposé, nous souhaiterions souligner la dimension « naturelle » du travail de médiation temporelle de la triple mimesis ricoeurienne. Dans cette première partie, nous mettrons en évidence à quel point, du point de vue des sciences cognitives, le processus de configuration temporelle propre à la mise en intrigue ricoeurienne caractérise la manière « naturelle » d’appréhender le(s) monde(s) du texte. Une seconde partie sera dédiée à la présentation des modalités de configuration du récit propres à l'approche mélancolique selon L. Binswanger. Dans cette seconde partie, nous observerons comment la démarche phénoménologique de L. Binswanger révèle un aspect crucial du travail de configuration temporelle propre aux interprétations mélancoliques : celles-ci auraient la capacité de mettre en question « la continuité de l’expérience et par là la réalisabilité du cours de la vie ». Dans la partie conclusive de notre exposé, nous essaierons de souligner la dimension active du travail de configuration temporelle de l'approche mélancolique du récit. Au lieu d’interpréter cette dernière, à l'instar de L. Binswanger, comme un « mode déficient de l'angoisse », nous pourrions reconnaître à celle-ci un pouvoir actif, voire subversif. Dans cette perspective, ne pas vouloir configurer un récit selon les modalités indiquées par P. Ricoeur signifierait avoir l'intention de s'opposer à la dimension « naturelle » de celui-ci. L'approche mélancolique révélerait donc la posture critique assumée par l’interprète se refusant d'adhérer à la vision du monde de l'auteur. En définitive, relever la puissance contestataire de l'approche mélancolique du récit signifierait concevoir la mélancolie de l’interprète moins comme une « perte du moi » que comme une « présence d'esprit », à la manière de R. Barthes.