La liaison chez les chanteurs professionnels dans un corpus diachronique (1956-2017) - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2019

La liaison chez les chanteurs professionnels dans un corpus diachronique (1956-2017)

Gasparde Coutanson

Résumé

La musique est aujourd’hui un objet culturel du quotidien qui passe souvent par une pratique d’écoute, privée ou collective (Maisonneuve, 2009). Cela peut nous amener en tant que linguiste à nous intéresser à la langue chantée, qui constitue une des formes d’existence du langage, et plus particulièrement aux auditeurs. Dans une perspective fondée sur l’usage, l’auditeur reçoit un « input » de ses pairs mais aussi de locuteurs professionnels (pour notre cas de chanteurs) pouvant influer sur les productions de ces locuteurs. De plus, une influence entre pairs pourrait exister chez les chanteurs. L’enregistrement sonore, qui remonte à un peu plus d’un siècle, a bouleversé notre rapport à la musique, en permettant notamment de fixer une performance sonore, de la rendre accessible à tout auditeur, en favorisant un accès à un large éventail de productions musicales, pouvant être jouées en tout lieu et à tout moment et surtout en présentant une possibilité pour l’auditeur de réécoute de la même performance (Maisonneuve, 2014). Nous nous intéressons aux productions chansonnières ayant potentiellement pu influencer le plus les auditeurs d’une époque, ce qui nous a conduit à compiler un corpus de chansons francophones enregistrées par des chanteurs professionnels ayant atteint la première place de classements musicaux fondés sur les ventes et réalisés pour la France par divers instituts de sondage entre 1956 et 2017. Ce critère de sélection de chansons reflète une population d’étude hétérogène pour ce qui est des variables sexe, origine géographique ou encore âge des chanteurs et genres pour les chansons. Néanmoins, le caractère publique de ces œuvres et chanteurs fait que ces informations peuvent être retrouvées et ces variables contrôlées. Avec ce corpus, nous avons décidé de nous concentrer plus particulièrement sur la question de la liaison, un phénomène de sandhi externe propre entre autres au français, en chanson. Inspirés par les réflexions d’un groupe de travail quant à une volonté d’annotation commune de ce phénomène morphophonologique (Dugua et al., 2017), nous avons transcrit et annoté notre corpus sur une base auditive selon le format CHAT à l’aide du logiciel CLAN, qui permet également un alignement son/texte (MacWhinney, 2014), puis nous l’avons fouillé à l’aide d’un programme spécifiquement conçu pour l’étude de la liaison (Badin, 2018). Chez l’adulte, c’est la réalisation des liaisons variables, que nous définirons comme des liaisons dont le taux de réalisation est supérieur à 0% et inférieur à 100% pour une communauté linguistique francophone donnée (du type est [t] arrivé/est [o] arrivé pour nos chanteurs professionnels) qui s’avère la plus intéressante. Les travaux acquisitionnels se penchent également sur le taux de réalisation des liaisons invariables, ou liaisons dont le taux de réalisation tend vers 100% dans une communauté linguistique francophone donnée (du type un [n] enfant). Notre corpus peut tout d’abord se révéler intéressant pour l’étude de ce phénomène rare qu’est la liaison car celle-ci a peu été étudiée en langue chantée, excepté dans une étude portant sur des enfantines (Nardy et al., 2014), où les auteurs ont observé une réalisation élevée des liaisons variables et une variation interindividuelle quasi inexistante entre les différentes versions d’une même enfantine. Ceci pourrait indiquer que la liaison en chanson relève davantage d’une stratégie anti-hiatus, ce qui a été infirmé pour la parole par Morin (Morin, 2005). Cela ne semble pas être le cas dans notre corpus avec un taux de non-réalisation de 46%. Les segments consonantiques de liaisons observés (notez l’absence du segment [k]) sont les mêmes que ceux observés pour le corpus PFC (Phonologie du Français Contemporain, cf Durand et al., 2011), tout comme leur fréquence ([z] > [n] > [t] > [ʁ] > [p], ibid.). Comme pour PFC (ibid.), la fréquence des contextes morphosyntaxiques de production des liaisons de notre corpus suit une loi de Zipf mais l’ordonnancement des contextes, notamment parmi les plus fréquents, diffère. Après les adverbes monosyllabiques, nos premiers résultats s’approchent de ceux observés dans les livres audio pour enfants (cf Pustka, 2014), mais semblent en différer pour des adverbes polysyllabiques comme jamais et toujours ou pour des conjonctions monosyllabiques comme mais ou puis. Notre corpus nous amène enfin à nous intéresser à des liaisons rares qui ne nous semblent pas pouvoir être toutes expliquées comme erreurs de performance (liaisons invariables non réalisées (comme son [o] igloo ou qu’on [o] eut dit), pataquès, c’est-à-dire des liaisons non attendues aux vues de la forme graphique du mot liaisonnant (comme pour qu’il sourie [t] en s’endormant) ou liaisons erratiques, c’est-à-dire des liaisons dont la réalisation tend vers 0% pour une communauté linguistique francophone donnée comme avec combien de temps [z] encore ?). Cela nous amènera à réfléchir au traitement des occurrences rares et/ou nouvellement utilisées en français. Notre corpus peut pour finir se révéler intéressant car notre critère de sélection des chansons nous offre un corpus clos mais de fait diachronique, et il se trouve que l’étude diachronique de la liaison reste encore balbutiante, puisqu’elle n’a été étudiée que chez les hommes politiques (Laks & Peuvergne, 2017) et sur un corpus variationniste (Dugua & Baude, 2017). Ces études ont montré que même si globalement, le taux de liaison évolue peu, un niveau de granularité plus fin relativise ce constat. Chez les hommes politiques, il a été constaté que contrairement aux liaisons invariables, en plus grand nombre, les liaisons variables, moins nombreuses, ont vu leur taux de réalisation diminuer sur les périodes étudiées notamment pour ce qui est de constructions spécifiques. De même chez les locuteurs orléanais, si le taux global de réalisation des liaisons variables comme invariables ne semble pas avoir évolué, les auteurs constatent des dynamiques individuelles différentes au niveau de la production des liaisons variables. Pour notre corpus ce sont par exemple des constructions spécifiques qui retiendront notre attention, comme la construction est+X, qui est moins prégnante ces deux dernières décennies ou la construction V.2S3+X qui n’est plus usitée dans notre échantillon d’étude depuis les années 1980 hors contexte invariable (verbe+enclitique).
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03161209 , version 1 (05-03-2021)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03161209 , version 1

Citer

Gasparde Coutanson. La liaison chez les chanteurs professionnels dans un corpus diachronique (1956-2017). 17èmes rencontres du Réseau Français de Phonologie (RFP 2019), Jun 2019, Orléans, France. ⟨hal-03161209⟩
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