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Article Dans Une Revue Sciences humaines Année : 2020

La littérature peut-elle changer le monde ?

Résumé

Pour une littérature utile Alors que dans sa leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France, Roland Barthes définissait en 1977 la littérature comme « cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d'entendre la langue hors-pouvoir », en la déplaçant hors le monde, hors de la communication et de la connaissance, et en faisant de son inutilité une vertu, « L'exercice jamais clos de la lecture demeure le lieu par excellence de l'apprentissage de soi et de l'autre » proclame au contraire Antoine Compagnon tout juste élu au Collège de France. Loin de relever d'une lubie élitiste, cette élévation des pouvoirs de la littérature fait désormais l'unanimité et se décline de manière multiple : « Fécamp : une biographe recueille la parole de patients en fin de vie » titre Le Parisien ; une « Une pharmacie poétique s'ouvre, pour le bienêtre de tous » raconte Actualitté ; « Les romans qui nous aident à vivre » promeut une émission de France Inter ; « Les histoires lues aux enfants peuvent les rendre plus empathiques » avance Slate ; « Comment la littérature change votre cerveau (et votre rapport aux autres), nous explique The Conversation ; « Comment lire des livres aide à vivre plus longtemps » démontre Santé magazine… Lire, écrire, partager ses lectures : autant d'activités que notre société considère désormais comme utiles à nos vies, parce qu'elles leur donne du sens et de la force. L'âge classique s'était plu à faire des belles-lettres une forme d'éducation et d'enseignement moral, apparenté à la plus haute philosophie, l'âme romantique avait fait de la littérature une forme de plaisir suprême, détaché et supérieur. On dirait que notre époque à la fois hédoniste et inquiète veut elle rapporter la littérature à un principe de bien-être individuel et social. Ce qui était sagesse devient développement personnel, ce qui relevait de l'élévation devient empowerment, ce qui était jouissance devient distraction : que l'on s'appuie sur la psychologie de la lecture, la psychanalyse ou au contraire les sciences cognitives, l'heure est à proclamer les bénéfices individuels de la littérature, son utilité sociale, à défendre la productivité morale de la fiction et les bénéfices de l'ironie réflexive. Alors que la littérature était précédemment considérée comme un passe-temps inutile, les écrivains deviennent aujourd'hui des acteurs essentiels de nos vies et de nos cités. Loin de promouvoir le patrimoine et une culture conçue comme leurs propres finalités, « bibliothérapie », fabrication de récits en hôpitaux ou en EPHAD, atelier d'écriture, groupes de lectures, résidences d'écrivains, rencontres en librairie convergent pour justifier, encourager et financer ce que Valery Larbaud appelait il y a encore un siècle un « plaisir impuni », au point que les lignes de distinction entre littérature et médecine, littérature et action sociale, littérature et convivialité, littérature et éthique se brouillent parfois désormais. Tout autant que de nombreuses études de psychologie sociale, le concept désuet de catharsis, le principe psychologique un peu suranné d'une identification aux personnages, ou encore la notion éthique d'empathie, sont mobilisés pour comprendre les effets de la littérature, donnant parfois l'impression de réinventer la roue : une équipe de chercheurs néerlandais s'intéresse à la capacité de la fiction à développer notre empathie en nous transportant dans d'autres vies dans un article paru dans le prestigieux PlosOne, alors que la non moins fameuse revue Science publie une étude soulignant les gains en termes de compétence sociale et de compréhension d'autrui. Une longue tradition philosophique Les bénéfices de la littérature sont d'abord individuels et s'enracinent dans une profonde tradition philosophique qui n'a ni attendu ni les redécouvertes de neurosciences ni les théoriciens du développement personnel et de l'optimisation de soi en contexte néo-libéral :

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Alexandre Gefen. La littérature peut-elle changer le monde ?. Sciences humaines, 2020. ⟨hal-03084106⟩
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