G. Sacriste and A. Vauchez, « Les « bons offices » du droit international : la constitution d'une autorité non politique dans le concert diplomatique des années 1920, Critique internationale, vol.26, issue.1, pp.101-117, 2005.

, En cela, nous retrouvons, en partie seulement, l'idée de champ faible de Christian Topalov (Christian Topalov (dir, Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, 1999.

S. Puis and . Le-principe-d'un-code-de-conduite, Le profil des intervenants est en effet dominé par la figure du juriste (plutôt que du diplomate ou du politique), qu'il soit envoyé par un gouvernement, une ONG, ou une entreprise. Le droit apparaît comme un langage (technique) partagé, et maîtrisé par la majorité des agents. Il joue le rôle d'un « vocabulaire commun » pour traiter de questions de conflits ; un langage utilisé désormais par les politiques, les militaires et les humanitaires et reflétant le partage de croyances sous-jacentes -une « carte mentale » véhiculée dans ce recours au droit 55 . Il l'est d'autant plus que ces juristes ont été formés au droit international, dans les mêmes universités de droit européennes (britanniques et suisses) et de la côte est nord-américaine, où ils ont intégré des pratiques, mais également des vues très proches sur leur discipline et sur leur rôle social 56 . Portés par leur adhésion à la figure du juriste-expert, ils partagent -au-delà de leur champ d'appartenance -un certain habitus les inclinant à « voir » et à « résoudre » des problèmes par le droit, pour le droit, d'une manière perçue comme « technique » (et non « idéologique »). Cela passe notamment par l'importance accordée aux interprétations du droit existant (notamment le droit international humanitaire), plus qu'à son élargissement 57 . Cette dynamique trans-sectorielle est renforcée par la grande proximité sociale de ces experts, pour la plupart des hommes blancs, occidentaux, d'une cinquantaine d'années, et dont les positions institutionnelles sont confortables. Ainsi, même s'ils sont censés défendre des intérêts pouvant être contradictoires, ces experts partagent, au-delà de cette contrainte, des dispositions et une situation. Concrètement, cela leur permet de se retrouver autour du principe de construction de standards volontaires, techniques, complétant le droit international humanitaire, sans le contredire, mais dans l'optique de permettre son meilleur respect, sans l'alourdir. Cette convergence des positions autour d'un « droit mou » -de la part de représentants appartenant à des secteurs différents -s'explique également par le dispositif même de négociation propre à l'Initiative suisse. Celui-ci repose en effet sur des interactions régulières, approfondies, mais entre un nombre limité d'experts. Ceux-ci, tout au long des étapes 1, 2 et 3, sont amenés à se rencontrer fréquemment, lors de séminaires fermés, de conférences, et de cérémonies officielles. Ils échangent de manière routinière et interagissent autour de documents qu'ils commentent et se renvoient. Ces mêmes experts se fréquentent par ailleurs en dehors de l'Initiative suisse, notamment lors de discussions nationales sur la régulation des compagnies de sécurité privée. Les positions occupées dans l'espace national et international se renforcent ainsi mutuellement. Toutefois, au sein de l'Initiative suisse, les interactions entre représentants des trois groupes vont s'institutionnaliser, Dès 2005, il publie à titre personnel une analyse juridique : Nils Rosemann, « Privatized War and Corporate Impunity, vol.17, pp.273-289, 2005.

D. Kennedy and . De, lawfare" dans la mesure où, au-delà de la place croissante prise par le droit dans la gestion de la guerre, il s'agit bien d'un usage stratégique de celui-ci, notamment à des fins de dépolitisation, Of War and Law, 2006.

Y. Dans, B. Dezalay, and . Garth, « Hegemonic Battles, Professional Rivalries, and the International Division of Labor in the Market for the Import and Export of State-Governing Expertise, International Political Sociology, vol.5, issue.3, pp.276-293, 2011.

, De même, les interventions plus générales autour de l'opportunité même d'une sous-traitance de la sécurité se limitent au forum onusien, sans trouver d'écho dans la plateforme concurrente. A contrario, les mesures techniques, présentées ici comme « pragmatiques » -à l'image des discussions autour de la procédure de certification -sont au coeur des débats de l'Initiative suisse. Elles répondent à l'idée que le problème réside bien dans l'application des lois, ce qui ne nécessiterait que des solutions d'ajustements, et non des discussions idéologiques. Dans la mesure où les compagnies de sécurité privée sont présentées dès l'origine comme « là pour rester », il s'agirait avant tout de « faire face, rapidement, à la réalité » 60 . Cette posture, rappelée régulièrement par les participants de l'Initiative suisse, est évidemment politique. Elle n'en est pas moins masquée derrière une rhétorique de l'efficience, de la technique et du droit ; une rhétorique d'autant plus légitimatrice qu'on la retrouve dans de nombreux autres domaines où le New Public Management semble s'imposer. La dépolitisation de la régulation s'apparente ainsi à un calcul stratégique : une ressource à disposition des experts usant du droit comme langage dépolitisant, légitimateur et propice à engendrer l'adhésion 61 . Dans les actions menées autour des compagnies de sécurité privée, l'expertise juridique apparaît donc comme le savoir légitime à mobiliser, à la garantie de sa souveraineté, ou à la limitation des activités proposées par les sociétés (afin notamment de ne pas empiéter sur les fonctions « intrinsèquement gouvernementales ») est rejetée et discréditée comme politique, idéologique et vague, 2018.

, Confédération Suisse, International Code of Conduct? op. cit., art. 44 à 69

, Cette posture est au fondement de l'Initiative suisse : « Il convient enfin de relever que l'initiative suisse est neutre par rapport à la question de savoir si le phénomène lié aux entreprises militaires et de sécurité privées est souhaitable ou non » (Conseil fédéral suisse, Rapport du Conseil fédéral sur les entreprises de sécurité et les entreprises militaires privées, Entretien personnel avec un fonctionnaire du ministère suisse des Affaires étrangères, février 2010, p.691, 2005.

, Sur cette question de l'usage du droit, dans le cas de l'européisation des groupes d'intérêt, voir Hélène Michel, « Le droit comme registre d'européisation d'un groupe d'intérêt », Politique européenne, vol.3, pp.19-42, 2002.

M. Koskenniemi, The Politics of International Law, vol.1, pp.4-32, 1990.

F. Lebaron, de leur définition et de leur cadre d'action a donc trouvé une réponse au travers de la construction d'un espace transsectoriel devenu incontournable et porteur de différentes normes -construites sur la base d'un même code de conduite international -dont l'objet n'était pas d'interdire, de pénaliser ou de contraindre, mais de distinguer, par le haut, les entreprises volontaires. Cette voie de l'autorégulation et de la standardisation qui s'est imposée reflète la volonté des dominants du champ de la sécurité privée. L'imposition progressive d'un mécanisme de droit mou, d'un contrôle économique, là où d'autres options étaient proposées (contrôle par le biais d'une convention internationale, régulation centrée sur les droits de l'homme), repose sur plusieurs facteurs. Elle tient en premier lieu à la structure même des dispositifs de négociation, l'Initiative suisse construisant sa légitimité sur son fonctionnement multipartite et transnational ; et sur son soutien par les acteurs les plus puissants du marché. Toutefois, pour comprendre comment un contrôle économique parvient à s'imposer dans un domaine régalien, il convenait de s'intéresser également aux agents en charge de construire, en pratique, ce contrôle, et notamment à leur capital culturel et social, ainsi qu'à leur habitus juridique qui permet la construction d'un consensus dans le cadre d'interactions prolongées. Comme l'indiquaient Berger et Luckmann : « Quand la compétition non seulement théorique, mais également pratique apparaît entre des groupes d'experts voués aux différentes définitions fondamentales de la réalité, la dépragmatisation de la théorie est renversée et la puissance pratique des théories en question devient extrinsèque. C'est-à-dire qu, ce qui en fait un outil privilégié de la domination et des dominants 64 . Pour conclure Depuis 2015, la question des compagnies de sécurité privée, 2000.

, et aux luttes entre entreprises normatives, une dynamique similaire peut être ici observée. L'imposition des manières de voir et de faire de l'Initiative suisse, et son appréhension croissante comme démarche légitime, est en effet à relier aux intérêts, mais également à la position et aux dispositions des agents qui la portent. Ce n'est pas en vertu de son contenu, mais bien du fait de son adéquation aux ambitions d'acteurs puissants ? qui l

A. Dans-un-autre-domaine and . Vauchez, L'union par le droit. L'invention d'un programme institutionnel pour l, Europe, 2013.

P. Berger and T. Luckmann, La construction sociale de la réalité, p.211, 1966.