, Ferrante semble donc suggérer, en mêlant fiction et nécessité autobiographique -Poupée volée n'est rien d'autre que l'adaptation romanesque de ses angoisses de mère, de sa difficulté en tant que fille -, que perte, vol et abandon ne sont rien d'autre que le tissu fondateur de ce fameux broyage existentiel qui fait d'une allégorie problématique -celle de la poupée -l'outil capable d'éclaircir les dynamiques d'un rapport maudit, sauvé, in extremis, par la suggestion d'un retour à la parole. L'expédient de l'autofiction est présent aussi dans les dynamiques développées à l, À travers ces deux oeuvres

, L'histoire narrée par la poupée protagoniste se fait, pour reprendre les mots de A. Cavarero, 44 Ibid, p.80

H. Arendt, La Condition de l'homme moderne, Presses Pocket, p.252, 1958.

E. Ferrante, L. P. Dans, and L. Nuit, , p.18

L. Irigaray, Le Corps-à-corps avec la mère, op. cit, p.45

, La narration donne la possibilité à l'identité de se révéler, comme si cette dernière pouvait exister, se chosifier donc, grâce à l'outil narratif. Ferrante utilise l'écriture pour essayer de débrouiller les noeuds de sa posture de mère, l'abîme touché en tant que fille, le désarroi face à la descente dans un magma de débris. Tout cela est traduit en italien par le mot frantumaglia, terme inventé par la mère de l'écrivaine, qui signifie dépression, perte de soi, dépassement des frontières physiques et mentales. Puiser dans le passé maternel signifie donc pouvoir se « remettre en scène 51 » à travers ses amnésies, en sondant ses incertitudes et en documentant une expérience qui se transforme en lien identitaire entre auteur, narrateur et personnage. Toutefois le renvoi à sa propre histoire et à l'usage d'une langue dite « maternelle » peut paraître paradoxal dans notre contexte car la poupée symbolise, par excellence, l'objet inanimé, muet. Mais ici Ferrante semble privilégier, pour « revisiter le vide 52 » du féminin et pour résoudre le questionnement soulevé dans Poupée volée, « réification du soi 50 » : les choses qui ont eu lieu dévoilent leur signification grâce au récit

L. Fait-de-s'accrocher-au-verbe, écriture, la nécessité de faire parler une poupée, le besoin de se plonger dans une forme narrative inhabituelle (celle de la littérature pour enfants) et de dégonder le langage pour aboutir à une forme épurée, simple mais non simpliste, semble représenter, pour Ferrante

L. De-celina-au-langage-appris-par-sa-mère-ne-signifie-rien-d'autre-que-la-nécessité-de-faire-parler-ce-même-silence-en-laissant-le-non-dit-Émerger, exprimer la réticence taciturne du féminin pour sonder ce que Virginia Woolf nommait « un noyau d'ombre en forme de coin 53 » : quelque chose qui demeure invisible mais qui existe et réclame sa place. L'écriture-même est, pour Ferrante, auteure transparente, le moyen de sortir du silence et de s'affirmer en tant qu'être humain, sujet intellectuel qui réclame une identité nouvelle, libre de s'exprimer par une voie autre. Ce silence qui revient d'une manière circulaire est le spectre qui emprisonne Leda dans sa solitude, il est le coin d'oubli et de souffrance qui la pousse d'abord à l'abandon de ses filles, ensuite au vol de la poupée

E. Ferrante and L. Frantumaglia, , 2003.

A. Cavarero and T. , , pp.51-53

S. Chemotti and L. Bianco, Madri e figlie nella narrativa italiana contemporanea, Padova, Il poligrafo, p.28, 2009.

R. Braidotti, D. Le-donne-e-la-filosofia-contemporanea, L. Milano, and . Tartaruga, , pp.11-26, 1991.

. «-a-wedge, dans Virginia Woolf, p.45, 1927.

L. Melandri, A. Milano, and N. Pozza, , p.23, 2017.

. Ibid,

E. Ferrante and L. Figlia-oscura, 2015, trad. Elsa Damien : Poupée volée, 2006.