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Article Dans Une Revue Revue de la Bibliothèque nationale de France Année : 2020

Les censeurs, premiers critiques de bande dessinée

Résumé

Des années 1920 aux années 1970, la bande dessinée, médium privilégié de la culture enfantine, suscite une méfiance unanime, que ne fait que renforcer la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. Pour mieux lutter contre ces récits en images jugés immoraux les censeurs seront les premiers à les étudier et les définir, se transformant en véritables critiques littéraires… Dans Contre la bande dessinée (L'Association, 2008), l'artiste Jochen Gerner recense et illustre les poncifs qui contribuent à la mauvaise réputation des « petits mickeys » ; il esquisse, par ce biais, un panorama des clichés contre lesquels auteurs et amateurs ont dû lutter pour faire reconnaître la dignité du neuvième art. Gerner attire l'attention sur un point crucial : les décennies de discours alarmistes et d'écrits effrayés par les effets délétères de la bande dessinée n'ont pas seulement contribué à dévaloriser les littératures en images. Les censeurs divers qui, dès les années 1920, s'échinent à voir dans la bande dessinée le symptôme d'une décadence culturelle sont aussi-non sans une once de paradoxe-les premiers à l'avoir théorisée. Dans le domaine de la littérature, du théâtre ou du cinéma, de nombreux travaux ont mis en relief l'importance des censeurs dans les réflexions théoriques et stylistiques. Jean-Baptiste Amadieu a ainsi souligné combien la réalisation de l'Index librorum prohibitorum repose sur une évaluation stylistique, au point de transformer les censeurs en véritables critiques littéraires i. Frédéric Hervé a, quant à lui, montré pourquoi, dans un tout autre contexte, les films français des « trente glorieuses » sont à la fois « les enfants du Cinématographe et d'Anastasie ii ». Pratique culturelle pensée comme exclusivement enfantine jusqu'aux années 1960-1970, la bande dessinée constitue ainsi pendant longtemps un loisir sous surveillance. Si, comme Thierry Crépin l'a écrit, les effets de la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse reposent davantage sur l'autocensure que sur une intervention directe de la commission chargée de sa mise en oeuvre, ses effets n'en sont pas moins réels. Pour complaire aux desiderata des commissaires et éviter l'arbitraire de sanctions administratives impitoyables, éditeurs et rédacteurs relaient des consignes narratives et stylistiques qui forgent les caractéristiques de la bande dessinée « franco-belge » de l'après-guerre : conformisme moral, femmes reléguées à l'arrière-plan et désexualisées, rejet des genres de l'imaginaire-telles en sont quelques-unes des caractéristiques les plus visibles. Mais les conséquences de cette sourcilleuse vigilance exercée à l'encontre de la bande dessinée dépassent de loin la seule question de la chape de plomb qui pèse sur la création. En effet, avant l'émergence, dans les années 1960, des premiers cercles bédéphiles, les seuls travaux qui se penchent sur la bande dessinée sont le fruit de cette méfiance vis-à-vis des narrations en images. Pourtant, la réflexion théorique sur la bande dessinée est sans doute aussi ancienne que la bande dessinée elle-même : les intuitions du pédagogue genevois Rodolphe Töpffer, rassemblées dans son Essai de physiognomonie, restent éclairantes encore aujourd'hui : Töpffer élabore la première analyse théorique du médium, en même temps qu'il en élabore la grammaire formelle. Mais après Töpffer, la réflexion théorique sui generis disparaît corps et biens ; cousine de la caricature, la bande dessinée n'est pas perçue comme une pratique distincte, et elle n'attire guère l'attention des élites culturelles. C'est lorsqu'elle entame sa mue pour devenir, au tournant du XX e siècle, la forme privilégiée d'une culture enfantine passant par les journaux illustrés qu'elle commence à susciter l'attention. Ainsi, pendant plusieurs décennies, les censeurs ont été les seuls à proposer une réflexion sur la bande dessinée, son langage, ses modes de production, sa réception, ses lecteurs… Elle est

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Dates et versions

hal-02570763 , version 1 (12-05-2020)

Identifiants

  • HAL Id : hal-02570763 , version 1

Citer

Sylvain Lesage. Les censeurs, premiers critiques de bande dessinée. Revue de la Bibliothèque nationale de France, 2020, Ne les laissez pas lire ! Censure dans les livres pour enfants, 60. ⟨hal-02570763⟩
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