« Je suis avide d’histoires ». Les métamorphoses du narrateur dans Les Contemporaines - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Etudes rétiviennes Revue de la Société Rétif de La Bretonne Année : 2019

« Je suis avide d’histoires ». Les métamorphoses du narrateur dans Les Contemporaines

Résumé

Dans les Contemporaines, l’intérêt qu’on porte aux histoires comme à leurs nombreux et truculents personnages éclipse les figurations de la fonction narrative. Or le dispositif énonciatif, loin d’être insignifiant, est le foyer d’opérations de transformation et de démultiplication de l’identité rétivienne. Il s’agit ici de rendre compte d’une étude exhaustive des narrateurs et conteurs qui apparaissent au long du recueil, et des types de dispositifs narratifs mis en œuvre. On mettra à jour le paradoxe d’une identité, par définition singulière (sur le mode de l’ipse), qui se construit sur la base d’un pluriel des voix narratives. Ce pluriel du narratif est l’effet d’une contamination : la diversité des histoires contées rétroagit sur la voix narrative, la portant mimétiquement au même processus de dissémination. Le phénomène actualise une inversion habituelle chez Rétif entre fiction et non fiction : le cadre du récit est le véritable enjeu de la création littéraire, et le narrateur est proprement le seul vrai acteur du récit. « Je suis avide d’histoires », avoue le conteur de la 26e nouvelle (Le Premier amour). Cette avidité s’expose dans toutes les nouvelles, mais selon des modalités différentes. Elle traduit un désir de connaître, et plus encore un désir d’être, car le moi rétivien se nourrit des vies des autres, y compris quand ces « autres » sont des femmes. L’avidité de la fiction a à voir avec la conquête sexuelle et plus encore avec le fantasme de changer de sexe. La démultiplication de l’identité du narrateur signifie donc une extension de l’identité narrative. Ce sont ces métamorphoses du « je » rétivien que nous invitons à découvrir.
On ne saurait trop se mettre en garde contre un usage abusif du terme « identité ». « Toute utilisation de la notion d'identité commence par une critique de cette notion 1 », disait Claude Lévi-Strauss lors d'un séminaire au Collège de France consacré à cette notion. Le terme, relevant originellement du domaine de la logique et de la philosophie, connut à partir de Locke et de sa définition de l'identité personnelle une progressive extension sémantique. D'essentialiste et psychologique, il en est venu à désigner l'appartenance à une catégorie, une culture, une nation. Il a ainsi cette aptitude à désigner l'irréductible singularité de la personne conjointement à son insertion dans une entité collective. Il célèbre le triomphe de la subjectivité tout en affirmant l'empire de la collectivité sur les membres qui la composent. Le personnage rétivien trouve sa définition dans cette tension, proprement dramatique, et plus largement la création littéraire chez Rétif est travaillée dans ses structures profondes par cette dialectique. Dans Les Contemporaines, oeuvre qui dialectise le divers de l'anecdote et la totalité de l'histoire, dans une construction ambitieuse et totalisante qui tient à la fois du système et de la série, deux tendances contraires se font face : l'une à la démultiplication des figures du narrateur, l'autre à leur unification par inclusion. De quelle nécessité interne relève cette dialectique ? Que nous dit la difficulté que nous avons à définir le narrateur quant à la place que nous pouvons lui assigner au sein du projet littéraire de Rétif ? L'un et le multiple « Je suis avide d'histoires, comme un général de victoires 2 », déclare aux deux hommes dont il a surpris la conversation le narrateur de la 26 e nouvelle (Le Premier Amour), qui se présente à eux sous le nom de Dulis. Ce type d'énoncé à caractère métanarratif nous invite à nous interroger sur l'identité du narrateur, qui apparaissant comme une hypostase de l'auteur, peut être rapproché du « narrateur auctorial » de Franz Stanzel 3 , qui partage avec le narrateur du récit à la première personne la double propriété d'être personnalisé et d'être fictionnel, mais qui contrairement à celui-ci se tient à l'extérieur du monde des personnages. S'il intervient fréquemment dans le cours du recueil, c'est généralement aux marges des histoires, au début et à la fin, pour en délimiter le cadre et en affirmer la dimension morale. Mais cette avidité d'histoires désigne une activité supplémentaire, celle du collecteur des anecdotes. « Ayant annoncé dans le café de Foi, que je composais des histoires, intitulées Les Contemporaines, je reçus, dans la même semaine, la lettre suivante […] 4 ».
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  • HAL Id : hal-02530127 , version 1

Citer

Nicolas Brucker. « Je suis avide d’histoires ». Les métamorphoses du narrateur dans Les Contemporaines. Etudes rétiviennes Revue de la Société Rétif de La Bretonne, 2019, 51, pp.13-24. ⟨hal-02530127⟩
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