Le poids de la langue française, entre sentiment de menace et dynamiques langagières - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2009

Le poids de la langue française, entre sentiment de menace et dynamiques langagières

Claudine Moïse

Résumé

La position idéologique française s'est construite au siècle des Lumières et a été fortement portée par la Révolution de 1789. La nation, dans la perspective d'un contrat social, repose sur la volonté politique des individus de vivre en société d'où découle une vision culturelle commune. L'affirmation d'une langue française, unificatrice et centralisatrice, et de valeurs culturelles nationales permet alors la reproduction de l'idéologie dominante homogène et affirme la légitimité de la République comme Etat-nation. Dans un tel contexte idéologique, il s'agira ici de montrer que le « poids » de la langue française oscille entre un sentiment de perte et de menace, en prise avec une vision d'une langue « en danger » et en « crise », et un dynamisme culturel et linguistique en lien avec la mondialisation et ses nouvelles pratiques sociales. Pour étayer mon propos, je m'appuierai sur mes différents champs d'exploration et de réflexion, les variétés de français minoritaires au Canada et celles de l'hexagone, mâtinées des influences d'Afrique du Nord. 1.Un sentiment de menace ou l'impression d'une « perte de poids » Au commencement était le contrôle social La langue française est au fondement de la République et a constitué historiquement un corps social (Balibar 1985). À travers les fondements idéologiques d'une nation unifiée et unificatrice (universalisme, raison, unité), la langue française peut alors jouer du contrôle social et des vertus laïques. Avec le siècle des Lumières et Louis XIV, la langue française-tout comme les arts ou la danse d'ailleurs (Moïse 2004)-va servir le politique (Moïse 2006a-). Les mots et le corps imposent le contrôle social et l'ordre public. Les mots passent par la raison linguistique comme l'illustre la défense de l'ordre naturel des mots tandis que l'inversion du sujet est brandie comme domaine des passions et désordre des émotions, vieille querelle des Anciens et des Modernes, de Descartes à Condillac. Les mots passent aussi par la civilité, qui, telle qu'elle était prônée au XVII e siècle, impose les codes des classes dominantes, forme de domination sociopolitique pour définir l'espace public dans ses contours policés, hors de toutes variations ou langues autres. La codification de la civilité aurait permis sans doute de sortir des guerres civiles de religion et de reconstituer le corps social (Merlin-Kajman 2003) ; ainsi, dès cette époque, le primat de la raison sur le sensuel a imprégné les esprits et, du maintien du corps à la retenue de la parole, le modèle de bienséance et d'excellence passe par l'esprit contenu. La langue française se fait alors clarté et génie, constructions idéologiques fortes qui traversent les temps jusqu'à aujourd'hui, même si les linguistes (Bally 1930/2004, Swiggers 1987) démontent les mécanismes de cette « histoire obscure des fausses clartés » (Meschonnic 1997 : 181). La langue française est donc, dans ses formes et sa gestion, de l'ordre du politique, qui se légitime par elle, comme elle est légitimée par lui ; elle devient symbole du pouvoir, inscrite dans la constitution et partagée par la nation (Eloy 2000 : 107). Dans cette optique le discours sur les langues en danger (Duchêne et Heller 2006), au-delà de prises de position sur l'inégalité, renvoie à un sentiment de fragilité des instances de reproduction du pouvoir, notamment face au spectre de la mondialisation. Par la suite, la Révolution française et la troisième République ont continué d'user de la langue française pour construire le citoyen et définir un espace public égalitaire, unificateur et homogène ; dans cette optique la langue, à travers l'école reproductrice des valeurs républicaines, a épousé les vertus laïques (Dubet 1997). La langue-nation dont l'autorité repose sur « le génie français » est émanation sacrée et puissance divine (Balibar 1995 : 288). La laïcité à l'image de toute religion se voit relayée par le livre sacré qu'est le Dictionnaire (Cerquiglini 2003) et ses vertus sacralisées s'actualisent dans les valeurs morales et civiques attribuées à la langue française (Gadet 2003)
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Citer

Claudine Moïse. Le poids de la langue française, entre sentiment de menace et dynamiques langagières. Médéric Gasquet-Cyrus et Cécile Petitjean. Le poids des langues, L'Harmattan, pp.237-253, 2009. ⟨hal-02495561⟩
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