Partir pour cultiver, cultiver pour rester : l’ancrage par l’agriculture chez les migrants. L’exemple des Marocains dans le Comtat
Résumé
Cet article témoigne des tensions à l’oeuvre dans le milieu méditerranéen des fruits et légumes au prisme de leur recomposition par l’insertion de populations migrantes (Aragau et alii, 2016). La mise en évidence de ce phénomène peut susciter plusieurs étonnements. D’une part, de nouveaux acteurs semblent travailler l’espace rural méditerranéen. Immigrés maghrébins, ils participent au renouvellement de la filière productive maraîchère locale. D’autre part, leur présence semble se traduire par une mise en tension avec les institutions en place (marchés, fraudes, producteurs locaux) en raison de leur recours à des pratiques de dissimulation. Ce paradoxe met en lumière une place difficile à trouver pour des acteurs migrants devant faire face à plusieurs formes de marginalisations. Que celles-ci soient spatiales, à travers une relégation dans les interstices de l’espace rural, ou bien sociales, à l’image de la contestation que suscite leur présence sur les marchés urbains.
Ce travail est le produit d’une recherche de terrain réalisée dans le cadre d’une thèse en géographie. Les acteurs abordés sont d’anciens ouvriers agricoles marocains lancés dans l’entrepreneuriat agricole. Une des particularités de leur dynamique d’entreprise est que celle-ci s’appuie souvent sur des pratiques informelles dont la souplesse (Péraldi, 2001) permet de palier certaines lacunes financières, administratives ou organisationnelles de départ auxquelles doit faire face une catégorie d’acteurs migrants aux ressources différentes de celles des agriculteurs locaux. Ce recours à des pratiques dissimulées n’empêche pas cependant une formalisation progressive des exploitations. Enfin, si ils semblent former un groupe aux stratégies similaires, les cultivateurs marocains ont des parcours diversifiés en fonction des attentes, des opportunités et de l’investissement de chacun.
Le terrain où ces acteurs ont été observés est le Comtat (Durbiano, 1997), un espace productif français caractérisé par la précocité et la qualité de ses productions maraîchères et arboricoles (Durbiano et alii, 1977). L’extrême morcellement de la ressource foncière (Dérioz, Grosso, 1992 ; Perrin, 2009), ainsi que la prédominance de cultures maraîchères qui requièrent peu d’investissements pour une rentabilité rapide (Gauthier, 2001), font de la huerta méditerranéenne un lieu d’installation privilégié d’entrepreneurs migrants aux moyens modestes. Par ce biais, ils s’installent dans l’espace rural et participent à la redynamisation économique des campagnes françaises. Il s’agit alors d’interroger les formes d’accès au territoire de ces nouveaux acteurs ruraux.
Cette communication invite ainsi à interroger plus largement la relation entre migrants des Suds et précarité dans les espaces ruraux. L’aventure entrepreneuriale agricole offre ici l’exemple de la capacité de populations migrantes aux moyens modestes à créer des richesses sur des espaces en difficulté. Participer à leur redynamisation permet aux migrants de trouver une place économique et sociale dans l’espace local. Ceux-ci manifestent alors un ancrage dans le territoire, matérialisé par la création d’un patrimoine durable.