LE CORPS DU VOYAGEUR À L'ÉPREUVE DE LA SIBÉRIE (XVIIE-XXE SIÈCLE) - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Viatica Année : 2014

LE CORPS DU VOYAGEUR À L'ÉPREUVE DE LA SIBÉRIE (XVIIE-XXE SIÈCLE)

Résumé

Il est, pour le voyageur, des terrains où son corps peut être soumis à des épreuves d'une particulière rudesse. La Sibérie est de ceux-là, en raison de ses dimensions, de son climat et de son caractère sauvage. Dimensions infinies, en premier lieu, qui allongent les trajets de manière démesurée : si les premiers relateurs, manifestement mal informés, exagèrent volontiers le temps nécessaire à la traversée de cette contrée 1 , il n'en reste pas moins qu'avec les moyens de transport de l'époque, le diplomate danois Isbrand Ides, ambassadeur de la cour de Russie auprès de l'empereur de Chine, doit employer, dans les toutes dernières années du XVII e siècle, deux ans et demi pour accomplir le trajet de Moscou à Pékin et retour 2. En 1890, Edgar Boulangier, ingénieur français employé à la construction du chemin de fer transsibérien, constate qu'il faut encore vingt-cinq jours à un touriste pour accomplir le trajet de Paris à Tomsk, en Sibérie occidentale, mais « si le touriste en question veut pousser plus loin, c'est à Tomsk seulement que ses tribulations commencent 3 », surtout s'il se déplace en tarantass, cette voiture-lit inconfortable lancée à toute allure sur les chemins défoncés de la région ! Et il faut s'appeler le père Avril, qui avait pourtant sillonné l'Asie en sa qualité de missionnaire jésuite, pour oser écrire, en 1692, « qu'on a présentement si bien reconnu [la Sibérie], qu'on y voyage avec autant de facilité qu'on peut faire dans toute l'Europe 4 ». Mais, à sa décharge, il ne la connaissait pratiquement que par ouï-dire 5. Le climat sibérien met, on s'en doute, le corps du voyageur à toute aussi rude épreuve, avec ses amplitudes thermiques extravagantes : si les températures effroyablement basses qui y règnent chaque hiver sont bien connues, avec leur lot de tempêtes de blizzard-on aura amplement l'occasion d'y revenir-, on oublie parfois que les étés continentaux y sont eux aussi éprouvants, ce dont ne manquent pas de se plaindre nombre de visiteurs, incommodés par la chaleur et les moustiques, les orages et les incendies qu'ils provoquent. Il faudrait encore mentionner les innombrables fondrières provoquées par le dégel, les distances souvent fort longues à accomplir entre chaque relais, qui font courir au voyageur imprévoyant le risque de mourir de faim ou de soif, sans oublier, pour finir, les dangers représentés par la rencontre de bêtes féroces ou d'autochtones qui ne sont pas toujours animés des meilleures intentions du monde. Si, à l'exception du père Avril déjà cité, les auteurs des relations viatiques en Sibérie que l'on a pu dépouiller 6 , qu'ils soient diplomates, gens de sciences ou de techniques, militaires déportés ou simples touristes, ne manquent jamais de souligner les épreuves inhérentes à un périple de cette espèce, ils sont loin d'adopter la même attitude dans la manière dont ils relatent les péripéties qu'ils endurent. On en voudra pour simple preuve la description du froid éprouvé par deux voyageurs presque contemporains : le naturaliste allemand Johann Georg Gmelin, membre de la première expédition au Kamtchatka entre 1733 et 1743, d'une part, et, d'autre part, l'abbé Jean Chappe d'Auteroche, astronome français qui participa à la mission envoyée en Sibérie pour observer le transit de Vénus sous le disque solaire en juin 1761. Le premier passe l'hiver 1734-1735 à Ienisseïsk, en Sibérie centrale, où il déclare avoir « éprouv[é] pour la première fois le plus grand froid de Sibérie » : Vers le milieu de décembre, l'air était comme gelé ; il ressemblait à un brouillard, quoique le temps fût extrêmement clair. Cette espèce de brume ou plutôt cet air extrêmement condensé empêchait la fumée des cheminées de s'élever ; les moineaux et les pies tombaient et mouraient glacés, lorsqu'on ne les portait pas dans un endroit chaud [...] dans le thermomètre de Fahrenheit, le mercure descendit à cent vingt degrés plus bas qu'on ne l'avait observé 7. Le second se contente de comparer « l'horrible froid, presque incroyable », constaté aux portes de l'Oural par son collègue Delisle sur son thermomètre, au cours de l'hiver précédant la mission, à celui, pourtant relativement modéré, qu'il a lui-même éprouvé lors de sa traversée de la Russie occidentale :
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Dates et versions

hal-02358080 , version 1 (11-11-2019)

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Citer

Alain Guyot. LE CORPS DU VOYAGEUR À L'ÉPREUVE DE LA SIBÉRIE (XVIIE-XXE SIÈCLE). Viatica, 2014, ⟨10.52497/viatica386⟩. ⟨hal-02358080⟩
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