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Communication Dans Un Congrès Année : 2019

L’opération de synthèse dans les discussions à visée philosophique

Résumé

La pratique des discussions à visée philosophique (ou Philosophy for Children), initiée à la fin des années 1960 aux États-Unis par le philosophe américain Matthew Lipman (cf. ex. Lipman, 1995), a pour but de favoriser le développement des capacités à réfléchir, à raisonner, à questionner, constitutives de l’esprit critique. L’initiative de M. Lipman était motivée par l’observation, faite en tant qu’enseignant universitaire, de faiblesses de ses étudiants en matière de raisonnement, et par le constat qu’il était trop tard pour y remédier à ce stade et qu’il fallait donc faire en sorte que les jeunes puissent s’entraîner à raisonner beaucoup plus tôt. Mais qu’est-ce que cela signifie au juste raisonner ou faire un acte de raisonnement ? Il est important de se poser cette question afin d’avoir une idée claire de ce à quoi on s’attend ou devrait s’attendre de la part des enfants dans une discussion à visée philosophique. Le dictionnaire Le Grand Robert propose trois définitions du terme raisonner dont deux nous paraissent les mieux adaptées au contexte de la DVP (la troisième rapprochant cette notion de la notion d’argumentation, en lien avec la visée de convaincre). La première de ces définitions, citant comme notions voisines penser et philosopher, stipule qu’il s’agit de "se servir de sa raison, de son intellect, pour former et combiner des idées, des jugements" ; la deuxième, rapprochant raisonner de juger, induire et déduire, précise qu’il s’agit de "passer d’un jugement (principe, base…) à un autre (conclusion), par le raisonnement". On peut ramener ces définitions au principe selon lequel deux types d'action intellectuelle sont nécessaires pour qu’on puisse parler de raisonnement : la formation d’idées et leur mise en relation. Ainsi, lorsqu’un enfant, dans le cadre d’une DVP, raconte une de ses expériences en guise d’exemple, il met en relation cette "idée" avec une autre, préalablement formulée par lui-même ou par un autre participant. Dans la mesure où la deuxième idée (exemple, illustration) est plus spécifique que la première, on peut parler d’opération d’analyse. Lorsqu’un autre enfant soumet ensuite un autre exemple, il fait également preuve de raisonnement, car lui aussi combine des "idées" (deux exemples), en opérant une analogie, celle-ci relevant également de l’opération d’analyse. Lorsqu’un enfant assemble dans un énoncé deux ou plusieurs idées formulées précédemment (qu’elles soient de nature spécifique ou générale), il met en œuvre cette fois-ci une opération de synthèse. C’est ce dernier type d’opération intellectuelle qui nous intéresse dans cette communication, pour les raisons qui deviendront claires plus loin. Dans le cadre de la définition du terme raisonnement, Le Grand Robert renvoie, afin d’illustrer cette notion, à des opérations parmi lesquelles figure la synthèse. Celle-ci est définie comme "opération qui procède du simple au composé, de l’élément au tout". Cette définition est conforme à celle formulée par André Lalande dans Vocabulaire technique et critique de la philosophie (1926 : 854) : "composition ; acte de placer ensemble divers éléments, donnés d’abord séparément, et de les unir en un tout". Suite à l’analyse de trois DVP (classe de CP, enfants de 6-7 ans) du corpus Philo (dans le cadre d’un projet soutenu par la Région Auvergne, Auriac-Slusarczyk & Lebas-Fraczak, 2011, https://philosophemes.msh.uca.fr/), nous avons distingué deux types de synthèse : "associative" et "généralisante" (Lebas-Fraczak, 2016). L’étude de ces discussions, puis d’une quatrième (classe de CM2, enfants de 9-10 ans, discussion animée par Michel Tozzi lors de la journée mondiale de la Philosophie organisée à l’UNESCO, 2014 ; cf. Simon & Tozzi, 2017), nous a permis en outre de constater que les opérations de synthèse effectuées par les enfants ne sont pas toujours perçues par les animateurs, ce qui résulte dans des "ratés" de communication, confirmant ainsi l’observation d’Emmanuèle Auriac-Slusarczyk et Martine Maufrais qu’"écouter les élèves, en cherchant à les comprendre, est difficile !" (2010 : 51). D’autant que, comme le précisent les auteures, les animateurs n’ont souvent pas le temps de repérer la logique sous-jacente au discours des élèves et qu’ils préfèrent parfois suivre leur propre raisonnement plutôt que le raisonnement des élèves (ibid. : 44-45). Une autre cause de ces non-reconnaissances réside probablement dans un décalage entre les attentes de l’adulte et ce que les enfants sont capables de faire, et font spontanément, comme nous avons pu l’observer grâce à l’analyse de corpus. En effet, on trouve dans les textes de spécialistes la recommandation selon laquelle c’est à l’enseignant de synthétiser les propos d’élèves. Ainsi, Jocelyne Beguery (2012), en parlant du rôle de l’enseignant, mentionne la tâche de synthétiser, devant permettre de donner sens à des exemples formulés par les élèves, et de les mener vers la généralisation. De même, la note sur la DVP du Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (2015), attribue à l’enseignant la tâche de synthétiser, ou formuler des "récapitulations intermédiaires des idées tout au long de la discussion", dans le but de "faire le point sur les idées émises, de donner sens aux exemples (souvent juxtaposés) en les généralisant". Dans cette communication, nous prolongeons notre étude et réflexion sur l’opération de synthèse et ses acteurs, en nous appuyant sur de nouvelles DVP, menées en école primaire et en collège, parvenant du corpus d’Anda Fournel (2018). Références : Auriac-Slusarczyk, E. & Lebas-Fraczak, L. (2011). Etude des phénomènes interlocutifs dans les discussions citoyennes à visée philosophique pratiquées à l’école et au collège. Projet financé par la Région Auvergne, 2011-2014. Auriac-Slusarczyk, E. & Maufrais, M. (2010). Chouette ! Ils philosophent. Encourager et cultiver la parole des écoliers. Clermont-Ferrand : CRDP d’Auvergne. Beguery, J. (2012), Philosopher à l’école primaire. Paris : Retz. Fournel, A. (2018). Analyse pragmatique et actionnelle de l’acte de questionner. Le questionnement chez des élèves de primaire et de collège pratiquant la philosophie à l’école. Grenoble : Université Grenoble Alpes. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01841459/document Lebas-Fraczak, L. (2016). Les opérations intellectuelles des élèves et la perception de l’enseignante dans trois DVP en classe de CP, Recherches en Education, 24, Les ateliers-philo en contexte scolaire. http://www.recherches-en-education.net/IMG/pdf/REE-no24.pdf. Lalande, A. (1926). Vocabulaire technique et critique de la philosophie. Paris, Librairie Félix Alcan. https://archive.org/details/vocabulairetechn00lala. Lipman, M. (1995). À l’école de la pensée (N. Decostre, trad.). Bruxelles : De Boeck Supérieur. Simon, J.-P. & Tozzi, M. (dir.) (2017). Parole de philosophes en herbe. Regards croisés de chercheurs sur une discussion sur la justice en CM2. Grenoble : UGA Éditions, 2017.

Domaines

Linguistique
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-02334408 , version 1 (26-10-2019)

Identifiants

  • HAL Id : hal-02334408 , version 1

Citer

Lidia Lebas-Fraczak. L’opération de synthèse dans les discussions à visée philosophique. Colloque International "Corpus philo : corpus à(p)prendre", LiDiLEM, Nov 2019, Grenoble, France. ⟨hal-02334408⟩

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