La circulation et la gestion des émotions en interaction : étude sur le rire dans un débat informel sur le féminisme, à Medellin, Colombie - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2019

La circulación y la gestión de las emociones en interacción : estudio sobre la risa en un debate informal sobre el feminismo en Medellín, Colombia

La circulation et la gestion des émotions en interaction : étude sur le rire dans un débat informel sur le féminisme, à Medellin, Colombie

Résumé

Dans le cadre d'un projet de terrain pour la constitution d'un corpus d'espagnol parlé, nous avons enregistré, en 2018, un débat d'une heure et demie à Medellin sur le féminisme, intitulé ¿Será que soy feminista? (« Suis-je féministe ? »). Ce débat est le premier d'une série d'évènements organisés par un nouveau collectif féministe, Hiedras, qui souhaite créer des espaces de discussion sur les questions du genre en Amérique Latine, la région du monde la plus violente envers les femmes en dehors d'un contexte de guerre, selon l'ONU. Malgré les acquis récents en matière du droit des femmes en Colombie (la légalisation partielle de l'IVG ; la typification des crimes de genre : le féminicide – loi Rosa Elvira Cely – et l'attaque à l'acide – loi Natalia Ponce –) et la nomination de femmes à des postes politiques notables (dans le gouvernement actuel, neuf ministères sur seize sont occupés par des femmes), la vie quotidienne des Colombiennes est loin d'être facile. Trois indices statistiques le révèlent : le taux de grossesse chez les adolescentes (près de 20% des jeunes filles de 19 ans et moins ont déjà eu au moins une grossesse), le chômage (les femmes connaissent des taux de chômage plus élevés, avec 10.9%, 15.6% et 6.8% respectivement pour les niveaux Bac+5, Bac et sans études, contre 8.5%, 9.4% et 3.5% pour les hommes) et la violence domestique (entre 2002 et 2009, 11976 femmes ont été assassinées dans un contexte domestique). La ville de Medellin est particulièrement affectée par ce phénomène avec 70 féminicides dans les cinq premiers mois de 2018. Face à cette réalité, se réunir pour parler de féminisme à Medellin relève d'enjeux sociétaux graves, voire tragiques. Notre corpus présente des caractéristiques particulières qui en font, à nos yeux, un objet d'étude pertinent pour l'analyse conversationnelle. En effet, bien qu'elle soit organisée sous la forme de débat, notamment avec la gestion des tours de parole par une modératrice, l'interaction ne correspond pas au cadre traditionnel du débat politique ou académique, et cela principalement pour deux raisons. Premièrement, le public qui suit cet évènement est familiarisé en amont avec la thématique féministe ; en conséquence, les intervenantes ne sont pas soumises aux contraintes de la dissuasion politique. Il ne s'agit pas, pour autant, du regroupement d'une communauté déjà établie : les débats de ce type sont rares à Medellin et la question du genre en Colombie, plutôt restreinte aux milieux académiques, est peu repandue dans la population (Estrada, 1997). De plus, s'agissant du premier évènement de Hiedras, il n'existe pas une routinisation au préalable pour ce type d'interaction. Deuxièmement, l'évènement a lieu le soir dans un bar qui sert habituellement à des concerts de tango et de salsa ; ainsi, les intervenantes et le public consomment de l'alcool pendant la présentation. Dans ce contexte, les intervenantes se permettent d'utiliser un langage hybride entre, d'une part, des expressions techniques dont l'usage confirme leur statut épistémique en tant qu'expertes, et, d'autre part, des formules d'adresse informelles, visant directement le public. Celui-ci devient un autre interactant dans la communication, qui se réaffirme au fur et à mesure que le débat avance. Dans cette communication, nous nous intéresserons principalement au public, dont le rire est la manifestation la plus saisissable du point de vue de l'analyse de données. Les études sur le rire en analyse conversationnelle ont démontré son rôle à part entière dans l'interaction (Jefferson, Sacks, & Schegloff, 1987). Ici, le rire est une manifestation collective qui porte des caractéristiques particulières dues à la nature même de l'interaction. L'analyse séquentielle des moments suscitant le rire du public nous montre que ce rire n'obéit pas à une manifestation fortuite, bien au contraire : les intervenantes cherchent à placer certaines émotions dans leur discours dans le but de le susciter. Ainsi, plusieurs ressources multimodales sont mobilisées, qui vont de la grimace à la dérision. Cette analyse nous demande donc une vision multidimensionnelle du débat (Martel, 2000). En somme, nous voulons analyser les mécanismes par lesquels les intervenantes cherchent à provoquer cette réaction, tout en gardant les codes qu'exigent une activité communicative comme le débat et, surtout, la discussion sur un sujet aussi sensible en Colombie. Enfin, nous ne nous contenterons pas de l'analyse de séquences isolées. Nous porterons aussi un regard longitudinal sur l'émergence d'un espace de partage, voire de confidence, qui se crée entre les intervenantes et le public tout au long de l'interaction et qui se traduit par l'apparition, vers la fin, de récits intimes et personnels (Traverso, 2000). Nous voulons montrer que le rire est l'un des mécanismes privilégiés dans la création de cet espace de confidence, en prenant en compte l'identité de genre (Greco, 2014) comme un facteur décisif pour l'analyse de cette interaction.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-02308138 , version 1 (08-10-2019)

Identifiants

  • HAL Id : hal-02308138 , version 1

Citer

Luisa Acosta Córdoba. La circulation et la gestion des émotions en interaction : étude sur le rire dans un débat informel sur le féminisme, à Medellin, Colombie. ICODOC 2019 : Émotion, empathie, affectivité. Les sujets et leur subjectivité à travers les pratiques langagières et éducatives, Laboratoire ICAR UMR 5191, Oct 2019, Lyon, France. ⟨hal-02308138⟩
81 Consultations
0 Téléchargements

Partager

Gmail Facebook X LinkedIn More