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Article Dans Une Revue Moyen-Orient Année : 2011

Le Printemps arabe de la monarchie

Baudouin Dupret
Jean-Noël Ferrié
  • Fonction : Auteur
  • PersonId : 934848

Résumé

Le Maroc a souvent été présenté comme une exception. C'est à la fois vrai et faux. C'est faux, parce que, comme les autres pays de la région, il connaît de nombreux problèmes politiques, économiques et sociaux. C'est vrai parce qu'il bénéficie, jusqu'à présent, d'une stabilité et une manière de gérer les crises politiques que l'on pourrait difficilement retrouver chez ses voisins. Le Maroc est le seul pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient a avoir réussi à entamer des réformes de manières suffisamment profondes pour qu'on ne puisse plus se résoudre-sauf de manière polémique-à le dire tout bonnement autoritaire. Certes, la Tunisie vient de franchir un pas considérable dans ce domaine mais le Maroc a pris ce tournant bien plus tôt, à la fin du règne d'Hassan II. Sans doute n'était-ce pas seulement l'effet de la vertu qui poussa, entre 1997 et 1998, le précédent roi à ramener à lui son opposition et notamment l'opposition de gauche représentée par l'USFP (Union socialiste des forces de progrès). La politique n'est pas à proprement parler un exercice vertueux. Le fait est qu'il réussit à la fois à transformer favorablement la nature de son régime-sans effectivement le démocratiser-et à le libérer de la pression des opposants. Lorsque Mohammed VI monte sur le trône, la légitimité du leadership royal n'est plus contestée par aucun acteur partisan. Il n'en découle pas pour autant qu'il dispose d'une majorité apte à mettre en place et à conduire les nombreuses réformes que l'« alternance » 1 promue par son père a laissées espérer. En effet, si le souverain détient, du fait de la Constitution ou de la pratique institutionnelle elle-même, une part importante du pouvoir, il n'est nullement en situation de gouverner seul. Ce n'était déjà pas le cas, sous le règne d'Hassan II ; et ça n'a jamais été le cas sous le règne actuel. Il gouverne avec des fonctionnaires, un système d'élite et de groupes d'intérêts à la fois reproductif et agrégatif et des partis politiques. Chacun de ces regroupements d'acteurs a ses propres objectifs et ses propres clientèles. Ils constituent une sorte de polyarchie, c'est-à-dire un pouvoir réparti entre des groupes à l'intérieur d'un jeu d'équilibre. Techniquement, c'est une forme de gouvernement que l'on retrouve dans les démocraties, à cette exception importante qu'il y est régulé par les élections, alors qu'au Maroc la régulation électorale a été tardive et demeure encore incomplète, même si les élections n'y sont plus falsifiées. Plutôt que de considérer le souverain comme un deus ex machina, il semble ainsi bien plus juste de le considérer comme le régulateur d'un système d'équilibres dont il ne peut s'extraire. Personne ne peut s'opposer à lui mais il a besoin d'un vaste concours d'acteurs pour agir. Ce système est assez performant, lorsqu'il s'agit de ralentir les changements ou d'éroder ce qu'ils peuvent avoir de rugueux ; il possède malheureusement les mêmes caractéristiques, lorsqu'il s'agit de les promouvoir. Prenons-en un seul exemple : la mise en place d'un système de protection sociale. On sait qu'elle est un élément généralement jugé indispensable du consentement positif des citoyens vis-à-vis des gouvernants. En d'autres termes, le gain espéré en termes de légitimité est fort. La réforme a été lancée en 1998 par le gouvernement d'alternance qui avait, lui aussi, un intérêt évident à sa réalisation. A l'heure actuelle, l'assurance maladie obligatoire aussi bien que l'assistance médicale de base sont encore en rodage, avec de larges pans de la population qui ne peuvent, en pratique si ce n'est en droit, en bénéficier. La réforme du code du statut personnel au bénéfice des femmes a également été lancée-à vrai dire timidement et maladroitement-par ce même gouvernement ; il a fallu, cependant, attendre 2004 et l'opportunité ouverte par les attentats islamistes de Casablanca, réduisant les capacités d'actions de ses opposants, pour qu'elle soit conduite à bien. Il ne fait aucun doute qu'à chaque fois le roi soutenait les réformes comme il ne fait aucun doute que ce soutien ne suffisait pas, à lui seul, à les promouvoir, du moins rapidement. Il fallait en passer par la formation d'un consensus entre de multiples catégories d'acteurs. Ce passage obligé par le consensus possède des vertus : tout d'abord, il agit comme un puissant « refroidisseur » de la vie politique, puisqu'il implique tout le monde-du moins les acteurs partisans-dans la plupart des décisions ; ensuite, il favorise la monarchie qui apparaît comme la régulatrice du consensus et donc la porteuse constante des projets de réforme ; enfin, il évite les épuisantes polarisations 1 On nomme « alternance », l'arrivée aux affaires des partis de l'opposition nationale et notamment de l'USFP dont le leader, Abderrahman Youssoufi devient Premier ministre en 1998. Techniquement, il ne s'agit pas d'une alternance, puisque le pouvoir du roi demeure largement déterminant et que la majorité ne possède qu'une assise parlementaire assez faible. Il n'en demeure pas moins que cette période marque un changement qui ne peut être négligé.

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Citer

Baudouin Dupret, Jean-Noël Ferrié. Le Printemps arabe de la monarchie. Moyen-Orient, 2011, 12, pp.56-61. ⟨hal-02160948⟩
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