Chronologie et organisation narrative dans les œuvres historiographiques de Geoffroi Malaterra et Guillaume de Pouille
Résumé
En choisissant de rapporter les hauts faits accomplis par des hommes qui se sont illustrés dans une conquête, les écrivains « normands » de la fin du XIe s., qu'ils aient écrit en prose ou en vers, ont choisi de raconter un événement limité dans le temps avec la volonté affichée de célébrer le protagoniste. Ce faisant, dans la lignée de Dudon de Saint-Quentin, ils composent un récit personnel, à la marge du genre biographique, en suivant l'ordre chronologique, qui est un élément de structuration important de l'organisation du récit et de la légitimation du héros. Guillaume de Pouille, par exemple, affirme la cohérence entre l'avènement des Hauteville et la volonté de la Providence divine, qui préside à la succession des temps. Pourtant, tous ne donnent pas la même priorité à cet aspect : Geoffroi Malaterra, en particulier, revient à plusieurs reprises sur l'importance de l'ordonnancement chronologique du récit, et la datation est donnée de plus en plus fréquemment dans l'Histoire du Grand Comte Roger, quand d'autres écrivains, comme Guillaume de Poitiers, Gui d'Amiens, Guillaume de Pouille, se préoccupent de l'ordre des faits mais très peu de datation.
On montrera cependant que des entorses à la chronologie, qui ne résultent pas nécessairement de la méconnaissance, peuvent intervenir dans la composition : soit parce que l'auteur, soucieux de la clarté de son discours, auquel il confère une portée didactique, préfère regrouper certaines informations, soit parce qu'il semble guidé par une recherche esthétique et symbolique.
Dans cette perspective, aussi, on tentera de montrer que le lien que ces auteurs entretiennent avec la forme – prosaïque ou versifiée – peut être signifiant. Le choix du vers épique, dans l'ensemble du poème de Guillaume de Pouille, en lien avec le choix de modèles héroïques, témoigne d'un dialogue constant avec les modèles du passé ; Malaterra réserve le vers à certains chapitres, comme pour rompre, peut-on penser, avec les contingences temporelles ; ce que s'interdit, au contraire, Guillaume de Poitiers, qui refuse à la poésie la capacité de raconter l'histoire