Corps et gestes : incessants retours à la vie et rites de la mort dans la littérature populaire chinoise (XVIIe-XVIIIe siècles)
Résumé
Les contes chinois du Liaozhai zhiyi de Pu Songling (XVIIe-XVIIIe s.) abondent en cas de retours à la vie. Ceux-ci ont un aspect évident de démesure de par leur aspect surnaturel, la profusion des gestes rituels qui les accompagnent, et le caractère extrêmement répétitif de leur survenue. Les défis à la mort, rendus possibles par l'intervention de divinités dont les prérogatives empiètent amplement sur le monde visible, sont tributaires d'une bonne préservation de la dépouille ou des ossements. Même après une résurrection, il conviendra souvent de renforcer le corps par des habitudes ou interdits alimentaires. Le retour à la vie requiert parfois le don d'un élément corporel venu d'un tiers (sang, sperme ou chair), preuve ultime de l'amour ou de la piété véritables, la mort étant alors elle-même un passage rituel permettant d'ennoblir les relations humaines. Par ailleurs, la réincarnation offre le spectacle de renaissances successives qui, dans un refus exténuant de la mortalité, condamne récursivement à des vies animales ou réunit sans fin ceux qui furent séparés. L'aspect fortement itératif de ce phénomène, qui se fait écho d'un conte à l'autre, accentue l'emphase dans laquelle se manifeste ce qu'on pourrait appeler un déni de la finitude.