. Lefebvre, , p.75

. Bougeant, Voyage merveilleux du prince Fan-Férédin, dans la Romancie, vol.1735, p.12

L. Leibacher-ouvrard, Libertinage et utopies sous le règne de Louis XIV, p.222

E. G. Cf-par, . Benrekassa, . Anthropologie, and . Histoire, le cas des aventures de Jacques Sadeur », dans Modèles et moyens de la réflexion linguistique au XVIIIe siècle, Utopies et voyages imaginaires, Lille, Presses universitaires du Septentrion, p.106, 1978.

. Bayle, Dictionnaire historique et critique, t. 2, part. 2, Rotterdam, 1697, pp.989-990

L. Voir-Également-sur-ce-sujet and . Leibacher-ouvrard, Libertinage et utopies sous le règne de Louis XIV, p.206

, Pour mieux donner le change à leurs contradicteurs, tout en faisant de l'oeil à ceux qui voudraient bien être des leurs, ils le décrivent généralement comme un fauteur de troubles. Emblématique à cet égard est l'oeuvre de Gilbert. « On ne saurait disconvenir que les Avaïtes n'aient déterré des principes qui nous étaient inconnus et qu'ils ne nous fournissent contre les libertins de nouvelles preuves de quelques vérités importantes » 109 . Bien qu'il rallie très ostensiblement le parti de l'île des hommes raisonnables en présentant les moeurs d'un peuple dont les maximes -a priori compatibles avec le message chrétien -sont susceptibles d'être suivies par ses contemporains, les dialogues qu'il orchestre dans son récit distillent le doute. Ainsi par exemple « la critique de l'athéisme paraît surtout servir à l'exposer » 110 , à tel point qu'on a pu considérer qu'il n'y avait pas « plus libertin que ce texte qui prétend avoir indubitablement fourni "contre les libertins de nouvelles preuves", et qui se clôt comme il s'est ouvert, sur la même citation de Lucrèce » 111, vol.108

B. Parmentier and «. Le-démon-de-socrate, L'allusion équivoque dans L'Autre monde de Cyrano de Bergerac, Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, p.33, 2004.

. Gilbert, Histoire de Calejava ou de l'isle des hommes raisonnables, 1700, pp.327-328

, la seconde, après avoir glissé du panthéisme à l'athéisme, se clôt sur un discours où il est (étrangement) affirmé qu'il se trouve "des gens irrépréhensibles de cette secte nombreuse d'athées", que "ces athées n'ont passé pour tels qu'à cause qu'ils n'avaient point de religion ; car sans religion on peut vivre moralement bien", et même que l'irréligion cause de moins grands maux que les fausses religions (?), pp.81-82

L. Leibacher-ouvrard, L. Louis, X. , and O. , Les libertins n'ignoraient donc rien du sort réservé à leurs écrits, et ce n'est d'ailleurs pas sans finesse que Tyssot de Patot comparait leur destin à celui des sorciers en chuchotant à l'oreille des puissants quelle était, d'après lui, la manière la plus efficace pour s'en débarrasser : « le meilleur moyen de n'avoir point de sorciers dans un pays n'est pas de les persécuter, et de les exécuter à mort, mais de les faire passer pour des fous. Mille gens ne se formaliseront pas extraordinairement si on les appelle scélérats, sacs à pithson, brélandiers, paillards, libertins, athées » (Tyssot de Patot, La vie, les aventures et le voyage de Groenland du révérend père cordelier Pierre de Mésange, avec une relation bien circonstanciée de l'origine, de l'histoire, des moeurs et du paradis des habitants du pôle arctique, 1720, t. 1, p. 131). À en juger par un passage destiné cette fois-ci explicitement aux esprits forts, le conseil n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd : « Comment ! Vous croyez donc aussi parmi vous, reprit le roi, qu'il y aura une autre vie après celle-ci ? Sans point de doute, sire, répondis-je, nous avons de cela une certitude plus que morale. Il y a eu plusieurs symptômes, qui par une inspiration divine et toute particulière, nous ont révélé cette vérité, qui n'est plus contestée de personne, que de quelques libertins et esprits forts, dont on sourit, que les gens de probité fuient comme la peste, et auxquels souvent les puissances imposent de rudes châtiments, lorsqu'ils persistent dans leur incrédulité, La fin de l'Histoire de Calejava laisse ainsi planer peu de doute sur les intentions de Gilbert. Il parachève en effet l'histoire de l'île des hommes raisonnables par un conseil de lecture qui mêle la fibre cartésienne à la tradition épicurienne : « Le remède est de tenir pour suspectes d'erreurs les opinions, communément reçues, de lire peu à la fois des endroits difficiles, et de les méditer beaucoup ; on aura l'esprit assez bon et docile si à la première lecture on commence à douter et suspendre son jugement, si on ne rebute rien avant que de l'entendre, et qu'on suive le conseil de Lucrèce que j'ai donné d'abord et par lequel je finirai, p.167

«. Qu, il considère qu'il y a des lois naturelles qu'on ne peut les enfreindre, et cette infraction est un mal moral ; est-ce l'homme ou Dieu qui donne à la mère du lait pour nourrir son enfant ?, p.164

, On est extrêmement porté à mal faire lorsqu'on espère du ciel le pardon de ses fautes, pp.177-178

R. Trousson, philosophes est, elle, unanimement considérée comme « un texte [athée] d'un bout à l'autre, le premier dans l'utopie française, à notre connaissance, Libertinage et utopies sous le règne de Louis XIV, p.70

R. Trousson, Voyages aux pays de nulle part?, p.101

M. Delon, Tyssot de Patot et le recours à la fiction », Revue d'histoire littéraire de la France, p.708, 1980.

, Par son titre même, Le législateur moderne ou les mémoires du Chevalier de Meillcourt (1739)

. Bien-que-le-prisme-diffère-de, on peut trouver un intéressant prolongement à ces développements dans S. Roza, « Comment l'utopie est devenue un programme politique : Morelly, Mably, Babeuf, un débat avec Rousseau », Annales historiques de la Révolution française, 2014.

S. Roza, Une filiation clandestine ? De Morelly au Discours sur l'origine de l'inégalité, p.57, 2011.

J. Servier, Histoire de l'utopie, p.191, 1967.

. Morelly, Code de la Nature, vol.1760, p.20

. Ibid,

. Morelly, Naufrage des isles flottantes ou Basiliade du célèbre Pilpai, vol.1753, p.5

J. Dagen, ». Fontenelle, and F. Revue-d'histoire-littéraire-de-la, , vol.103, p.414, 2003.

J. Dagen and . Fontenelle, , vol.9, p.2016

, situation qui n'était pas si rare que ne le dit la vulgate, surtout pour qui pouvait se prévaloir d'un fauteuil à l'Académie française et de la position fort respectable de secrétaire de l'Académie royale des sciences. Il également possible que Fontenelle ait pu tirer profit du contexte polémique qui régnait alors au sein du catholicisme. Quelques années plus tard en effet il obtiendra le soutien des jésuites pour démontrer que son Histoire des Oracles n, À moins que l'auteur n'ait bénéficié de quelque occulte protection

. Fontenelle, Traité de la liberté de l'âme, 1700, présentation C. Paillard, coll. « Les classiques des sciences sociales

C. Romeo, . Matérialisme, and . Déterminisme-dans-le-traité-de-la-liberté-de-fontenelle, Le Matérialisme du XVIIIe siècle et la littérature clandestine, p.102, 1982.

. Fontenelle, Traité de la liberté de l'âme, dans Nouvelles libertés de penser, Amsterdam, 1743, p. 122. C'est de cette version que nous tirerons les citations commentées par la suite

, Il n'est donc pas surprenant que l'abolitionnisme puisse être une des suites possibles d'une telle philosophie : si l'homme est invinciblement déterminé à faire ce qu'il fait, le punir revient à punir la nécessité, c'est-à-dire l'ensemble des causes, qu'elles lui soient propres ou non, qui ont conduit un homme à devenir criminel. Enfin, outre la possibilité de fonder l'abolition sur les bases de la raison, la philosophie de la nécessité produit d'heureux effets sur le terrain éthique, spécialement lorsqu'on l'envisage dans une perspective conséquensialiste : « Quant à la morale, ce système rend la vertu un pur bonheur, et le vice un pur malheur ; il détruit donc toute la vanité et toute la présomption qu'on peut tirer de la vertu, et donne beaucoup de pitié pour les méchants sans inspirer de haine contre eux » 278 . Les bénéfices d'une telle pensée s'étendent donc bien au-delà de la seule possibilité de réformer le système répressif ; ils vont jusqu'à révolutionner les passions tristes qui sont les compagnes -bien involontaires -d'un système social arc-bouté sur le dogme du libre arbitre. On a vu précédemment que cette croyance pouvait promouvoir une explication qui n'avait nul besoin d'une causalité mécanique car elle reposait entièrement sur la causalité, présumée efficiente, de la liberté morale : quelle que soit la situation, le criminel est présumé avoir eu le choix d'agir ou de s'abstenir ; s'il opte par conséquent pour le crime, il fait un mauvais usage de sa liberté ; il ne peut donc s'en prendre qu'à lui d'avoir aussi mal choisi : il se condamne lui-même. Lorsqu'on en fait usage en matière judiciaire, un tel raisonnement excite la vanité et l'orgueil de ceux qui, eux, ont fait le bon choix, et qui à l'occasion se trouvent être en position de juger celui qui n'a pas eu leur sagesse. Une telle situation invite par conséquent moins à la modération qu'à l'excès, ainsi qu'en témoigne l'épisode déjà entraperçu de la pendaison des deux marins portugais dans Libertalia : « leur sang retombe sur leurs têtes ! Ils ont voulu leur mort et la pendaison est trop bonne pour eux ! » 279 Trop bonne pour eux est l'expression emblématique d'un paradigme théologico-moral qui porte dans ses flancs les possibilités d'une sévérité qui ne demande qu'à croître, et qui croîtra d'autant plus que les juges seront placés dans une situation de nature à stimuler leur orgueil et leur vanité. La comparaison entre les deux systèmes est très révélatrice : un abolitionnisme fondé sur une instance transcendante, « Mais il est évident qu'un poids de 5 livres emporté par un poids de 6, est emporté aussi nécessairement que par un poids de mille livres, quoiqu'il le soit avec moins de rapidité ; ainsi ceux qui ont l'esprit sain étant déterminés par une disposition du cerveau qui n'est qu'un peu plus forte que la disposition contraire, sont déterminés aussi nécessairement que ceux qui sont entraînés par une disposition qui n'a été ébranlée par aucune autre ; mais l'impétuosité est bien moindre dans les uns que dans les autres, et il paraît qu'on a pris l'impétuosité pour la nécessité et la douceur du mouvement pour la liberté, pp.147-148

T. Comme-le-fait-observer-le-capitaine, « non seulement ce serait un vrai suicide que de laisser ces mécréants faire une seconde expérience de leur clémence 280 », mais ce serait surtout renoncer à cette liberté qu'ils jalousent, qu'ils ont inscrit au coeur de leurs coutumes et au nom de laquelle ils prononcent tous en choeur une sentence définitive, tout en refusant -dans le même geste -d'en assumer la responsabilité puisque les malheureux Portugais sont « les auteurs de leur propre mort » 281 . Un lecteur qui voudrait mettre cette situation à l'épreuve d'une philosophie nécessitariste proposerait une tout autre lecture. Il s'écarterait du système de la causalité morale efficiente pour ne s'en tenir qu'à une causalité factuelle

, Droz, p.68, 1999.

. Fontenelle, Traité de la liberté de l'âme, op. cit, pp.148-149

D. Defoe and L. , Une utopie pirate, op. cit, p.109

. Ibid,

. Ibid,

, Dans sa lettre 186, l'abbé consacre plus d'une quarantaine de pages à la réfutation du Traité de la liberté de l'âme. Dès les premières lignes, il écrit que « l'anonyme ne nie la prescience possible des actes libres, que pour nier absolument les causes libres. Décidé à faire l'homme machine, en abrogeant la spiritualité et l'immortalité de l'âme, il fallait bien lui ôter la prérogative de sa liberté » 288 . Gauchat y dénonce le dessein des sectateurs d'Épicure, propagateur d'une philosophie matérialiste 289 honnie des apologistes de la religion chrétienne. Il ne fait aucun doute qu'un tel système de pensée porte en lui les germes de la destruction : « à l'égard des conséquences, elles sont si certaines, si essentielles : celles du fatalisme et de la nécessité si destructives, si meurtrières, que le système qui nie la liberté, mérite toute la sévérité des lois civiles. C'est saper et le trône, et la patrie, enlever la paix, la sûreté du Citoyen, que d'ôter avec la liberté, soit le mérite d'observer les lois, soit le blâme de les violer : c'est abroger les lois elles-mêmes, siècle, lorsque triomphent les thèses déterministes portées par le matérialisme de La Mettrie, Helvétius, ou Diderot 286 , que Fontenelle connaît une actualité nouvelle. Matière et nécessité : deux totems polémiques de la radicalité abolitionniste Alors que la philosophie de la nécessité demeurait jusqu'alors plutôt confidentielle, sa puissance polémique éclate au mi-temps du XVIIIe siècle. Attaquée avec ferveur par les apologètes, les moralistes, les juristes et autres sectateurs du libre arbitre, elle est littéralement jetée sur la place publique. Que L'histoire des Ajaoiens, devenue pour l'occasion La république des philosophes (1768), paraisse dans un tel contexte, est un fait qui ne doit rien au hasard 287

C. Paillard, Du même auteur, cf aussi La justification de la nécessité : recherche sur le sens et sur les origines du fatalisme moderne, vol.8, pp.207-223, 2000.

, Le parti des philosophes est sans doute à la manoeuvre. Robinet ne manquera d'ailleurs pas de le signaler dans son Dictionnaire universel des sciences morale, économique, politique et diplomatique ou Bibliothèque de l'homme d'état et du citoyen, p.603, 1777.

. Gauchat, Lettres critiques ou analyse et réfutation de divers écrits modernes contre la religion, t. XVIII, Paris, 1763, pp.193-194

. «-ce-n, est plus ici controverse philosophique, c'est leçon de crimes destructeurs de la société, leçon punissable dans toute la rigueur des lois civiles, p.233

, Ainsi par exemple lorsque l'abbé Gauchat écrit que « rien ne serait plus contraire à la société, plus punissable par les lois, que ce malheureux système de la supériorité absolue du cerveau : il met une identité entre fou et vicieux » 300 . Or, poursuit-il de manière très conséquente, « si les organes du cerveau (sans aucune liberté) forment nos actions, il serait aussi injuste de condamner les meurtriers, les perturbateurs, que les fous, puisqu'ils auraient également été entraînés par les fibres du cerveau » 301 . En poussant la rationalité matérialiste à son extrémité, l'abbé pense ainsi adresser une objection d'autant plus décisive au système philosophique qu'il combat, qu'il présuppose acquise l'évidence du libre arbitre et ses interlocuteurs alliés à sa cause : « Or est-il que du consentement de tous les hommes il est une différence énorme entre les fous et les méchants. On plaint ceux-là, on arrache à ceux-ci la vie dans les supplices : donc les organes seuls ne forment pas les actions des hommes, c'est la liberté, il ne faut qu'accompagner pas à pas sa démarche dans sa Théorie des tourbillons cartésiens et dans les Doutes sur le système physique des Causes occasionnelles (?) L'explication des rapports de causalité ne gagne rien à l'hypothèse malebranchiste ; il faut basée sur le sentiment intime : « sans refuser de répondre aux sophismes de l'auteur, nous commencerons par lui dire que le sentiment intime, que les conséquences de la liberté en sont des preuves péremptoires (?), vol.293

;. J. Revenir-À-la-conception-saine, . Dagen, and . Fontenelle, Il y a lieu de conclure que le dualisme âme-corps qui semblait exiger l'occasionnalisme a perdu tout crédit, et que Dieu n'a pas sa place dans un univers régi par les lois de la physique mathématique

. Gauchat, Lettres critiques ou analyse et réfutation de divers écrits modernes contre la religion, p.195

, Les Caractères, ch. « Des esprits forts, p.15

. Gauchat, Lettres critiques ou analyse et réfutation de divers écrits modernes contre la religion, p.208

D. Masseau, Les ennemis des philosophes. L'antiphilosophie au temps des Lumières, p.44, 2000.

. Gauchat, Lettres critiques ou analyse et réfutation de divers écrits modernes contre la religion, vol.301, p.209

, Au-delà de la solution proposée dans l'utopie ajaoienne 312 , un autre signe témoigne du dialogue virtuel que Fontenelle tisse avec ses contradicteurs : le vocabulaire mobilisé dans la séquence consacrée à la pénalité. Les termes de « scélérats », de « monstre », d'« homme dénaturé » et d'« esclavage » viennent en effet scander un propos qui, faut-il le rappeler, est conditionné par la topique de l'abolition de la peine capitale. C'est un jeu d'écriture typiquement libertin en effet que d'instrumentaliser les vocables utilisés par leurs adversaires pour tout à la fois en montrer l'extrême dureté et en anéantir les impressions sensibles que les rétentionnistes espèrent en tirer. Le terme de « monstre », par exemple, dont on sait combien il est fréquent sous la plume des criminalistes, est aussi d'usage courant dans les écrits produits par les antiphilosophes : l'apologétique chrétienne manque en effet rarement une occasion de mobiliser ce registre lorsqu'il s'agit de justifier la peine de mort pour les ennemis de la société 313 . C'est pourquoi Fontenelle abuse de ces vocables, censés emporter l'adhésion de ceux qui en usent de manière immodérée et qui cherchent à rabattre les faits criminels sur une bestialité féroce, afin d'en amoindrir la dureté répressive : comme l'avait fait Cyrano de Bergerac avant lui, l'emploi des termes de « monstre, pour punir ce qu'ils appellent crime. Oui, ôtons la liberté, et toutes les lois croulent sur elles-mêmes, et l'instant après la société périra » 310 . Cette présentation apocalyptique, -qui témoigne de l'horreur qu'éprouvent les apologistes à l'encontre d'une philosophie radicale dans laquelle ils croient voir l'avènement du fatalisme 311 -, occulte néanmoins une donnée majeure : pour être résolument hostile au dernier supplice, et bien que la nécessité active la virtualité d'un geste abolitionniste de plus ample envergure

. Gauchat, Lettres critiques ou analyse et réfutation de divers écrits modernes contre la religion, vol.231, p.236

, Fondamentalement péjoratif, le fatalisme a été forgé par l'apologétique chrétienne afin de combattre ses adversaires, qu'ils fussent chrétiens (jansénistes et protestants) ou libertins. Certains philosophes des Lumières décideront de reprendre ce terme à leur compte, à l'instar de d'Holbach, qui l'affiche de manière très ostentatoire dans son Système de la nature ou Diderot, qui en fera le titre d'un de ses romans les plus fameux, mais qui ne paraîtra cependant pas de son vivant, Le terme de fatalisme ne recouvre pas ce que les philosophes entendent par nécessité, vol.18, pp.501-516, 2010.

C. Paillard, Entre science et métaphysique : le problème du fatalisme dans la philosophie de Voltaire », op.cit. ; du même, La justification de la nécessité : recherche sur le sens et sur les origines du fatalisme moderne, op, pp.79-95, 2004.

V. /. Cf-infra, Quand les dés sont pipés : l'abolitionnisme dans l'impasse. La réprobation de l'esclavage pénal par les esprits forts

, Dieu des sacrifices de sang humain ; c'est purger le corps politique d'un sang impur ; c'est retrancher un membre pourri dont la contagion pourrait infecter tout le reste. Vous ne soutiendrez pas, je pense, qu'en envoyant Cartouche sur la roue, l'ont ait fait une plaie à l'humanité » (Abbé Bergier, Le Déisme réfuté par lui-même, p.247

, Aussi risquée soit-elle, la démarche de Fontenelle n'en ouvre pas moins un espace heuristique dans lequel les lecteurs pourront éprouver leur sagacité. Si Beccaria partagera bientôt avec le public les dividendes qu'il aura su tirer de la philosophie de la nécessité 316 , un auteur aussi discret que Villeneuve s'invite lui aussi, quelques années avant le best-seller du marquis milanais, au banquet des philosophes matérialistes. En faisant paraître Le voyageur philosophe dans un pays inconnu aux habitants de la terre, il réalise la synthèse du geste libertin. Sans s'arrêter sur son « épître à moi-même », qui parodie l'orgueil de ces écrivains qui feignent l'humilité en plaçant leur travail sous la protection d'un puissant, tout en moquant par un geste proto-stirnérien la critique de l'amour-propre par les moralistes de tout poil 317 , le voyageur emprunte à Cyrano le motif narratif du décentrement sélénien. Bien que la séquence qu'il consacre à la peine emprunte à Veiras par son contenu, elle rejoint par sa forme au geste fontenellien. Servi par un style enlevé et un verbe destructeur, érosion insolente et un évidement sémantique du terme » 314 . L'instrumentalisation de ces vocables remplit en outre une fonction similaire à celle que l'on a suggérée précédemment au sujet de certains passages du Traité sur la liberté de l'âme : les partisans de l'abolition n'abandonneront leur position que s'ils ont la garantie que l'on s'occupe bien des monstres, des scélérats et autres hommes dénaturés de la manière la plus sévère. L'usage du terme esclavage, véritable topique de la littérature libertine

L. «-excepté-le-régicide, . Parricide, and . Le-crime-de-haute-trahison,

, et en les employant aux corvées, travail d'esclave à la rame, aux mines et autres travaux pénibles, mais utiles à la société, dont ils avoient troublé l'ordre et la sûreté. Les scélérats sont plus rigoureusement châtiés par la perte de leur liberté et l'asservissement au travail, que par un accident qui termine leurs maux par un saut de la vie à la mort. Quoique le pays fut rempli de mines abondantes en toutes sortes de métaux, on n'y employait que les criminels » 318 . Pris au pied de la lettre, ce passage semble plaider, à l'instar de l'Histoire des Sévarambes de Veiras, pour un abolitionnisme relatif. Mais il emprunte à Fontenelle un art d'écrire qui métamorphose le lecteur en voyageur accumulant, on croyait punir plus sensiblement les malfaiteurs, en les privant pour toujours de la liberté

J. Darmon, Philosophie épicurienne et littérature au XVIIe siècle. Études sur Gassendi, Saint-Evremond, p.235, 1998.

. «-s', il se rencontre dans la république quelque citoyen assez dénaturé et assez scélérat pour attenter à la vie ou à l'honneur de ses concitoyens, il sera condamné à devenir esclave de celui qu'il aura déshonoré, ou des parents de celui à qui il aura ôté la vie, république des philosophes ou l'histoire des Ajaoiens, pp.84-85

J. Ferrand and L. Nécessité, passager clandestin de l'abolitionnisme beccarien », dans Le bonheur du plus grand nombre. Beccaria et les Lumières, pp.127-138, 2017.

, Et il poursuit dans une note en écrivant qu'il est « le mobile perpétuel de toutes les actions morales, « Pourquoi rougirais-je de reconnaître l'amour-propre pour mobile de toutes les actions humaines, puisque, bien dirigé, il est la source de toutes les vertus sociales, et conséquemment lié au bien général

. Villeneuve-Écrit-que-«-le-régicide, Déchu de sa dignité, le criminel est alors relégué au rang de bête que l'on peut tuer et, par suite, disséquer. Villeneuve déplie ensuite son projet en mettant à jour les ressorts d'une anthropologie qui participe d'un paradigme théologico-moral qui rend criminelle la liberté elle-même : « si l'expérience nous apprend, qu'à quelques exceptions près, la Nature forme l'homme sain, niera-t-on, que la plupart des maux qu'il éprouve, proviennent de son intempérance, du dérèglement de son esprit, de l'art funeste de raffiner sur les plaisirs ? En ce cas l'entendement et la liberté, dont l'homme est doué à l'exclusion des animaux, seraient donc de fatals instruments, avec lesquels il fabrique ses maux et ses peines, qu'il transmet inhumainement à sa postérité » 321 . Ici ou là, sans souci d'ordre ou de système, mais par touches impressionnistes suggestives et répétées, Villeneuve tire les conséquences politiques d'une telle conception de l'humanité. Dans un chapitre 10 intitulé Les préjugés justifiés, il fait valoir qu'au rang de ces derniers il faut inscrire le poncif assurant que « les grands seigneurs en certains pays ont le droit exclusif d'exécuter les criminels. Inspirés par l'horreur du crime et par l'amour de la vertu, les grands Seigneurs de Géorgie tiennent à honneur, d'être les instruments de la punition des criminels, ainsi que les nôtres, pour leur plaisir, vont à la poursuite des bêtes féroces. Les scélérats qui troublent impitoyablement l'ordre de la société et répandent le sang de leurs frères, cessent d'être des hommes ; ce ne sont plus que des monstres, dont il faut purger la terre » 322 . Ces Géorgiens-là ressemblent à s'y méprendre à leurs homologues français qui, faut-il le rappeler, viennent à peine d'exécuter celui qu'on désigne précisément comme régicide, le Parricide et la trahison à sa Patrie étant, par les Constitutions de l'Etat, les seuls crimes qu'on punissait de mort, pour purger le pays de ces monstres exécrables, les criminels, de cette espèce étaient destinés aux expériences chirurgicales, vol.319

L. Villeneuve and . Voyageur, , pp.24-25

, Ainsi par exemple lorsqu'il fait mine de s'interroger, « y a-t-il quelque chose de bas et de vil dans la Nature ? » (ibid., p. 315), il relègue l'anthropologie qui discrimine entre les règnes et qui, sur la foi de la Genèse, Les saillies matérialistes sont omniprésentes dans ce second volume

, Le voyage de Villeneuve intervient à peine quatre ans après le supplice de Damien

J. Théry, /. Atrocitas, and . Enormitas, Pour une histoire de la catégorie de "crime énorme" du Moyen Âge à l'époque moderne », Clio@Thémis. Revue électronique d'histoire du droit, pp.1-76, 2011.

, que les consolations tirées de la nécessité du mal, des malheurs de la condition, de l'inutilité des remèdes qu'emploient, avec une sorte de satisfaction, les mélancoliques et les atrabilaires. Ne vaudrait-il pas mieux, au lieu de nourrir ces idées douloureuses, avoir recours aux moyens, quels qu'ils fussent, de charmer notre misère, pour se rendre heureux au moins en imagination ? » (ibid, p.294

. Ibid, Si cette citation n'exprime pas la conviction d'un auteur dont on sait cependant qu'il n'était pas abolitionniste, il n'en demeure pas moins que les arguments qu'il avance doivent être convaincants, ce qui signifie qu'un lecteur de son temps était tout à fait disposé à accepter l, Liv. XV, ch. II), p.307

, Ce supplice, justement considéré comme un acte d'inhumanité, avait été aboli et réservé pour les criminels déjà condamnés, dont on veut tirer l'aveu de leurs complices. Tant de jugements précipités, de mémoires réhabilitées avaient démenti la certitude Le travail forcé, forme d'esclavage moins en vue que celui qui pourrait sévir dans les colonies, dispose encore d'un atout qu'on aurait tort de négliger : il s'inscrit à merveille dans la psychologie de ceux que le séjour terrestre indiffère, qui croient que l'homme ne peut obtenir sa rédemption que par la grâce divine ou qui regardent la nécessité du travail comme une suite du péché originel et comme une punition de Dieu. Qu'il ait ou non foi en la prédestination ou en un augustinisme de bon aloi, un habile politique pourra, au prix d'un calcul d'intérêt qui n'est pas sans cynisme

, On ne saurait mieux illustrer que par cet exemple comment un usage raisonné -et non raisonnable -de la peine de mort, compensée par un travail pénal, a pu être associé au développement de l'économie marchande : au regard de la dimension morale et rédemptrice du travail 335 , un tel phénomène ne pouvait qu'imprimer sa marque sur un genre littéraire particulièrement sensible aux évolutions de la société. Des auteurs tels que Lassay ou Varennes de Mondasse relayent ainsi, par l'imaginaire, ce qui se présentait comme une tendance lourde des sociétés historiques dans lesquelles ils évoluaient. Les Féliciens condamnent à mort à l'occasion 336 et ils n'hésitent pas, lorsqu'ils trouvent « un pauvre ou un homme sans aveu, [à] le condamner sans rémission à de certains travaux publics, C'est peut-être là l'un des atouts maître d'un dispositif promis à un brillant avenir car il titille cette plutôt qu'une sentence capitale, le roi très catholique trouvant là un moyen judicieux de mettre au pas ses adversaires politiques et religieux, en les affectant à des projets et des réalisations utiles à la société, vol.334

, Ce qui ne leur assure cependant pas la garantie de rester en vie, quand on sait les conditions dans lesquelles on travaille dans les mines et dans les galères

N. Castan and A. Zysberg, Histoire des galères, bagnes et prisons en France de l'Ancien Régime, Privat, p.108, 2002.

. De, « Dans la tradition judéo-chrétienne, la notion de travail reste attachée à la fois à une obligation et à une malédiction divine : l'accouchement dans les douleurs pour la femme et la peine et la souffrance du travail pour l'homme. Mais le travail dans le christianisme est aussi le lien entre l'homme et Dieu. Dès la Genèse, Dieu crée le monde à partir de son travail qui le conduit à se reposer le septième jour. De même, par son labeur, l'homme prolonge l'oeuvre de Dieu dans la nature qui lui a été offerte pour qu'elle soit assujettie » (D. D. Grélé, « Travailler en utopie : l'Ajaoien, ses femmes et ses esclaves », Cahiers du dix-septième, vol.9, p.62, 1781.

L. Marquis-de, , pp.447-462

. Ibid, Alors que le voyageur est témoin d'un singulier spectacle pénal 342 , et que son interrogation se décline sur la gamme traditionnelle du relèvement moral 343 , son interlocuteur lui répond que sa « bonté de coeur (?) l'empêche de réfléchir sur le bien général qui demande cette sévérité publique » 344 : « ce sont, me dit-il, des personnes, qui après l'âge de 15 ans ont été surprises en commettant quelques fautes contre les lois ; ils sont obligés de servir l'État toute leur vie, dans les emplois les plus pénibles ; les uns travaillent dans les villes, les autres dans les campagnes à l'entretien des grands chemins ; ce sont eux qui font dans tout l'empire des ouvrages publics » 345 . Et, ajoute-t-il un peu plus loin, qu'« à l'égard de la dépense que vous croyez qu'ils causent à l'État, vous ayant déjà dit qu'on les emploie aux travaux publics dans toutes les différentes provinces où ils sont condamnés, vous devez juger qu'ils gagnent leur entretien, et que les ouvrages qu'on leur fait faire reviennent à beaucoup moins que si on se servait d'autres personnes, vol.341, p.463

, La réprobation de l'esclavage pénal par les esprits forts Avant même que les premiers libertins ne s'emparent de l'utopie comme d'un espace critique, la politique criminelle de la monarchie absolue faisait un usage immodéré des relégués aux fins de développement économique

, Les guerres sanglantes qu'une hérésie a suscitées pendant 600 ans dans cet empire, ont donné occasion de sacrifier le premier novateur, et de prévenir par-là toutes les calamités qu'il causerait, et bien loin que l'on considère sa mort comme une cruauté, tout le monde envisage comme un heureux sacrifice, qui procure le bonheur et la tranquillité de la patrie, p.38

, Cette certitude d'être puni dès la première démarche qui tend à parvenir au grand crime, non seulement diminue le nombre de scélérats, mais elle arrête aussi le cours des noirs attentats auxquels plusieurs se seraient portés, si on avait eu pour eux la moindre indulgence, et dont la mort cruelle à laquelle ils sont condamnés imposent moins au public, par l'idée qui s'en perd aussitôt que le coupable a été exécuté, que la vue de ces hommes enchaînés, qui sont dans tout l'empire des exemples vivants, capables de retenir les autres dans leurs devoirs, « S'il retombe dans ses premiers vices, il est puni sans miséricorde, p.131

«. Le-lendemain-matin, je vis dix à douze malheureux à la file enchaînés les uns aux autres par le col, qui portaient de l'eau sur leur tête, qu'un seul homme conduisait ; ce spectacle m'ayant surpris, je demandais à Karrindo le crime qu'ils avaient commis pour être réduits à une condition pire que celle des bêtes, p.128

«. Il-me-paraît and . Lui-dis-je, que la loi est bien dure de condamner une personne à être enchaînée toute sa vie, pour la première faute qu'elle commet, et dont elle pourrait dans la suite se corriger, soit en réfléchissant sur elle-même, ou par des châtiments moins rudes, p.129

. Ibid, La pédagogie de l'effroi conduit les condamnés à être, de temps en temps, tirés de leur prison « pour être publiquement fouettés autour du palais » afin de « montrer l'exemple aux autres, et leur mettre souvent devant les yeux la punition qu'on souffre pour les crimes qu'on a commis » 349 . Mais si les commentateurs ont porté leur attention sur ces modalités d'exécution de la peine, ils n'ont pas suffisamment souligné à quel point le travail était un topos structurant de l'économie répressive des Sévarambes. L'esclavage pénal, autre nom du travail forcé, est en effet plus qu'une peine qui aurait vocation à remplacer peu à peu le châtiment capital. Loin d'être un substitut, il en est le compagnon légitime et participe donc pleinement du topos de la peine : « on condamne à plusieurs années d'emprisonnement, selon la qualité du crime. Dans ces prisons, on est obligé de beaucoup travailler, et l'on y est souvent châtié, et, de tems en tems, pour y être publiquement fouettés autour du palais, et puis ramenés en prison, jusqu'à ce que le temps ordonné pour leur châtiment, soit expiré » 350 . Le voyageur précise encore : « quand je demandais aux Sévarambes pourquoi on ne punissait pas les crimes de mort (?), ils ajoutaient qu'on punit assez un criminel quand on le fait travailler longtemps dans une prison où il souffre une longue mort (?) Ils disaient encore qu'on avait trouvé par expérience, que les hommes craignaient plus ces longs châtiments qu'une mort prompte qui les tirait tout d'un coup de leurs misères » 351 . Bien que la dissuasion soit l'un des ressorts du travail pénal, sa dynamique principale demeure strictement utilitariste : elle marque par l'infamie le corps du criminel qui est ainsi sacrifié moins à l'exposition publique qu'à une instrumentalisation plus discrète qui prend la forme d'un devenir servile susceptible de régir son quotidien jusqu'à la fin de sa vie. On a souvent insisté sur la modération punitive des utopies, mais on s'est largement mépris sur le processus qui était à l'oeuvre dans la société et dont les littérateurs se faisaient ainsi l'écho, voisins européens qui pourvoyaient, selon leurs moyens, les galères françaises en y envoyant leurs ressortissants condamnés 347 . On comprend par conséquent que l'esclavage du criminel ait été un motif privilégié de la critique des francs esprits. Veiras fut sans doute le premier à parodier la société de son temps en reprenant à son compte l'ensemble des topiques du paradigme théologico-moral traditionnel. La mort comme peine est écartée du dispositif répressif, « à moins que ce ne soit pour quelque crime énorme, vol.348, p.132

A. Veiras, Tyssot avance que « suivant ces principes, ils se contentent d'imposer à chacun la peine qu'ils croient la plus proportionnée à son délit. Le blasphème contre Dieu est le péché le plus énorme parmi eux : ceux qui le commettent sont sans miséricorde, condamnés pour leur vie à travailler au fond d'une mine obscure, où la lumière du soleil ne saurait atteindre. Les meurtriers, les adultères, les paillards et les grands larrons, sont à peu près traités de la même façon : les uns travaillent en bas, Tyssot reprend le flambeau satirique en édifiant un mécanisme assez élaboré pour compenser la suppression du dernier supplice. Après avoir éclairé les raisons qui conduisent les Butroliens à ne jamais faire mourir l'un des leurs

R. Majeur, Coopérer avec la justice du roi. La peine des galères dans la République de Genève, Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, vol.19, p.2, 2015.

L. Veiras and . Sévarambes, , p.327

, Le travail, c'est mieux que la mort quand même?

P. Tyssot-de, Voyages et aventures de Jacques Massé, pp.150-151

D. D. Grélé and . Travailler-en-utopie, Cet article est particulièrement intéressant, bien que certaines interprétations conduisent son auteur à des impasses qu'il signale comme des « paradoxes », faute d'avoir pu prendre la mesure des jeux d'écriture typiquement libertins dont Fontenelle était familier. Cela conduit parfois D. D Grélé à attribuer à Fontenelle des opinions et sentiments qui ne lui appartiennent pas et à mettre ainsi à son crédit ce qu, pp.61-78

. Fontenelle, La république des philosophes ou l'histoire des Ajaoiens, p.84

, Le fait de mettre ainsi la vie et l'honneur au même rang des valeurs protégées est un signe fort qui témoigne d'une organisation sociale fondée sur l'invitation à la vertu plutôt que sur la crainte des châtiments

, Antiquité, mais il est intéressant de noter que la solution qu'il préconise sera aussi celle de Locke quelques années plus tard : « Personne ne peut donner plus de pouvoir qu'il n'en a lui-même ; et celui qui ne peut s'ôter la vie, ne peut, sans doute, communiquer à un autre aucun droit sur elle. Certainement, si un homme, par sa mauvaise conduite et par quelque crime, a mérité de perdre la vie, celui qui a été offensé et qui est devenu, en ce cas, maître de sa vie, peut, lorsqu'il a le coupable entre ses mains, différer de la lui ôter, et a droit de l'employer à son service

. À-l'instar-de-fontenelle, Le travail forcé, qu'il nomme très expressément esclavage, est une solution d'autant plus acceptable qu'elle ne heurte nullement les mentalités de son temps, la principale difficulté consistant à convaincre les plus réticents qu'il s'agit d'une peine plus dure que la mort. Il est assez clair que la parution Des délits et des peines redistribue pour partie le jeu discursif, les utopies postérieures ne pouvant occulter la dynamique argumentaire déployée par le Marquis milanais. Elle n'affecte en revanche nullement un topos de la peine plus que jamais enté dans un paradigme qui, en raison de ses prodigieuses facultés d'adaptation, semble être insensible à l'érosion du temps. Aussi, lorsque Grivel aborde l'île inconnue, son chevalier des Gatines édifie une société qui se situe à mille lieues de celle des Ajaoiens, mais qui témoigne de la vulgate qui sévit désormais dans les cercles savants. L'article XI de ses « lois fondamentales de la société policée » exprime en effet assez bien la vision partagée par les réformistes à la veille de la Révolution : « loin de nous l'inutile et cruelle absurdité de le priver de la vie, d'une vie dont Dieu seul est le maître ; comme si la mort d'un individu réparait le moindre des maux ; comme si la mort, qui nous attend tous, et que tout Citoyen est obligé quelquefois d'affronter, devait jamais être présentée comme une peine, et la plus grande des peines; comme si la société ne gagnait pas infiniment plus à faire travailler à son profit un individu, qu'à le détruire ; comme s'il n'y avait pas des moyens faciles, de mettre un méchant hors d'état de nuire, Villeneuve n'est pas dupe de cette manoeuvre qui dissimule les desseins les plus cyniques derrière le paravent du bien commun. Dans un passage à l'ironie mordante, il met sous les yeux du lecteur les ressorts anthropologiques d'un tel projet : « Dans la persuasion que la pauvreté est un vice et que le pain ne manque qu'aux fainéants, on avait extirpé la race de ces mendiants de profession, que rien ne peut exciter au travail, en les renfermant dans des lieux où on les assujettissait à certains travaux, suivant leurs forces ou leur aptitude, et où ils ne pouvaient jouir de quelques douceurs qu

L. Villeneuve and . Voyageur, , p.306

. Ibid,

, Certains commentateurs, aussi peu soucieux de la lettre (« si l'on disait? je répondrais ») que de la philosophie de Beccaria, ont cru devoir lui attribuer une position très dure, alors qu'à l'instar des libertins le penseur milanais sait prendre ses distances avec une opinion courante qu'il ne partage pas. Ainsi de Xavier Tabet, qui écrit que « Beccaria estime que la peine d'emprisonnement à vie a un effet plus dissuasif que la peine de mort. Cette peine, il la conçoit du reste de façon très dure, comme devant consister en un "esclavage perpétuel" » (X. Tabet, « Beccaria, la peine de mort et la Révolution française, « Si l'on disait que l'esclavage perpétuel est aussi douloureux que la mort, et par conséquent d'une égale cruauté, vol.9, p.57, 2009.

, emprisonnement à vie ne saurait par conséquent représenter pour lui une peine de substitution au châtiment capital

G. Grivel, L. 'île, and . Inconnue?, , p.213

, que le geste libertin avait fondé sur une philosophie radicale empreinte d'une nécessité toute matérialiste, devient le cheval de Troie d'un projet politique que certains présentent sous la bannière humaniste alors qu'il rend possible l'esclavage perpétuel sous la forme du travail forcé. Et c'est précisément sur cette assise que la Révolution française, qu'on dit volontiers beccarienne, cherchera à enrayer la dynamique répressive de l'Ancien Régime. Il s'en faut -et de très loin -qu'elle y soit parvenue dans la mesure où elle consacre deux éléments structurants du topos traditionnel de la peine, Les dés sont donc définitivement pipés : l'abolitionnisme

. Le-topos-de-la-peine-ne-peut, être envisagé de manière autonome : il n'est pas seulement un paramètre susceptible de répondre aux exigences d'une cartographie ou d'une typologie de la sanction en utopie ; il participe plutôt d'autres topoï qui l'accompagnent, voire le dépassent dans une large mesure. Le travail est l'un d'eux. Le considérer dans toutes ses dimensions permet de mettre à distance certains réflexes herméneutiques qui, étudiant les utopies de manière diachronique, prétendent que ce genre littéraire, réformiste et humaniste, a accompagné le développement d'un discours progressiste qui a réduit la violence et la cruauté des supplices pour leur substituer des « châtiments proportionnés qu'inspire la loi soucieuse des droits humains » 364 . La réalité fait en effet peu de cas de cet angélisme bien-pensant. Il est entendu que certains littérateurs ont combattu par la pensée la cruauté suppliciaire de la société d'Ancien Régime, ont dénoncé la torture à l'instar de Tyssot et Villeneuve, et ainsi ouvert la voie à l'abolitionnisme. Mais il est également avéré que la très grande majorité d'entre eux a conservé la marque indélébile d'une humanité pécheresse ou scélérate que le récit judéo-chrétien lui avait laissée en héritage. La force de ce qui a fini, par le jeu de stratifications et de concaténations successives, par constituer un paradigme est telle qu'elle irrigue les audaces des oeuvres généralement marquées du sceau du progrès. Ainsi le communisme du bénédictin Dom Deschamps ne parvient pas à s'en affranchir : « c'est un mal nécessaire dans nos sociétés, de détruire les criminels ou de les séquestrer de la société, VII/ Imaginaire mort-né ou imaginaire borné ? Aux termes de ce voyage à travers les utopies littéraires de l'âge classique et des Lumières, il apparaît que la filière d'intelligibilité dégagée par le geste libertin marque les frontières de l'imaginaire. Enchâssé dans les structures narratives de l'utopie princeps, vol.365

M. Porret, Article « Crimes et châtiments », Dictionnaire critique de l'utopie?, op. cit, p.286

D. Deschamps, L. , .. J. Thomas, and F. Venturi, Journal encyclopédique ou universel, vol.366, p.484, 1784.

, Ce constat fait, une question demeure : les rêveurs sont-ils vraiment toujours les réformateurs que l'on croit ? À lire celui qui passe pour s'être affranchi des frontières de l'imaginaire en proposant au public médusé la première uchronie digne de ce nom, on pourrait en douter. Comme l'écrit fort justement Raymond Trousson, « sur bien des points, Mercier a moins annoncé ce qui serait que ce qui ne devait plus être. Le monde de l'avenir n'est pas le futur, mais le présent épuré » 368 . De fait, si l'on veut bien s'en tenir aux lignes de force qui ont jusqu'à présent structuré notre propos, il est clair qu'en l'an 2440, la peine de mort pour vol a certes disparu, mais qu'elle régit toujours le meurtre, que la prison le dispute aux travaux publics, que les criminels sont des « monstres », des « âmes rampantes (?) avilies dans la fange du crime ou de la paresse » 369 . Et lorsque Mercier se prend à rêver d'un Hercule justicier chargé de nettoyer les écuries parisiennes du XXVe siècle, le tableau qu'il en fait ne lasse pas d'interroger. « Le fripon, le fourbe et le méchant se détournaient de mon passage, volontariste menée depuis Colbert aura ouvert la voie de cette modernité-là, et du progrès qui lui est associé. Au crible de la raison libertine, il faut conclure qu'ils y auront également contribué, pour la raison simple qu'ils ont marché côte à côte et d'un même pas

. Enfin and L. Dans-un-Élan-d'humanité-convenue, On ne saurait tenir propos plus conservateur ; les plus illustres commentateurs ne s'y sont d'ailleurs pas trompés 373 . On est donc fondé à écrire que l'utopie de Mercier a été surestimée 374 et qu'il porte en ses flancs un imaginaire mort-né. Sans doute cette oeuvre mériterait-elle une analyse plus circonstanciée que celle instruite ici ; il n'en demeure pas moins que les Lumières ont pu se nourrir des propos de rêveurs d'une autre trempe que Mercier. Du geste jubilatoire de Marivaux 375 à l'épopée souterraine d'un libre penseur notoire 376, tout assassin était mis à mort dans un instant indivisible ; je fustigeais rudement le voleur, et je l'envoyais aux travaux publics ; le calomniateur était puni de même, vol.371

R. Trousson, « Sciences et religion en 2440 », Cahiers de l'Association internationale des études françaises, vol.58, p.102, 2006.

L. S. Mercier, L'an deux mille quatre cent-quarante : rêve s'il en fût jamais, p.164

L. S. Mercier, L'homme de fer, songe, Dans L'an 2440 rêve s'il en fut jamais, pp.221-222

, Mercier renoue avant tout avec la vieille tradition judéo-chrétienne de la prophétie millénariste laïcisée par la doctrine du progrès ; il en récupère le dynamisme et l'énergie abandonnés par l'utopie traditionnelle et les met au service de l'anthropocentrisme hérité de la Renaissance. Curieusement, cette confiance se voit cependant limitée par certaines considérations inattendues. Si la foi fervente des chrétiens du XXVe siècle s'est affranchie des Églises et de la métaphysique pour n'accepter qu'un déisme rousseauiste, il n'en demeure pas moins que la vie terrestre ne représente pourtant qu'un passage et que l'essentiel n'est pas dans la réalisation du bonheur ici-bas, et l'aspiration eschatologique l'emporte de loin sur la jouissance immédiate. Chez Mercier, l'ordre admirable du futur n'empêche pas l'âme d'aspirer à une perfection qui n'est pas de ce monde (?) Dans cette utopie fondée sur le culte du progrès, la conclusion rappelle pourtant que, exil » où les hommes demeurent « faibles, misérables, bornés » (R. Trousson, « Les projets utopiques des Lumières (1675-1789) », dans "Res Publica Litterarum". Documentos de trabajo del Grupo de Investigación 'Nomos'. Suplemento Monográfico, p.18, 2006.

P. Kuon, . Utopie, ». Au-siècle-des-lumières-ou-la-crise-un-genre-littéraire, H. Dans, and . Hudde, De l'utopie à l'uchronie. Formes, significations, Fonctions, Tubinger, P. Kuon (dir.), pp.60-61, 1988.

L. Marivaux, île de la raison ou les petits hommes, p.1727

G. Casanova, . Icosaméron, and . Mégamicres, il vient chuchoter à l'oreille des puissants les remèdes qu'il juge bon d'appliquer sur les plaies béantes de la société de son temps. « Il faut 30 ans pour former un homme? On le détruit en un instant. Il me semble qu'on ne devrait décerner la peine de mort que dans le cas où il est bien prouvé qu'on a détruit son semblable, de quelque façon que ce soit? Alors roué vif pour les hommes et le feu pour les femmes sont encore, selon moi, des supplices trop doux? Mais dans tout autre cas, sans exception, il faut condamner, pour plus ou moins de temps, ou pour toujours, selon l'exigence des cas, à la chaîne des travaux publics dont je parlerai à l'article du commerce? Les hommes par ce moyen ne seraient plus perdus pour l'État? Ils seraient même utiles, car ce qu'ils feraient ne serait certainement plus à faire. D'ailleurs cela ferait bien plus exemple? Tous les coquins disent qu'un mauvais moment est bientôt passé, ils ne craignent pas la mort? Ces travaux seraient un supplice toujours renaissant qui ferait bien plus d'effet? » 379 . Derrière le conformisme crasse d'une solution dont on a vu qu'elle était déjà peu ou prou celle de More, il pointe avec beaucoup de sagacité un processus à l'oeuvre quand il écrit de manière très explicite qu'il traitera de la peine de travaux publics à l'article du commerce. Dénonçant par ailleurs la futilité des parures et le goût immodéré de ses contemporains pour le luxe, il « demande l'abolition du commerce des mers pour des raisons qui n'ont rien de très franchement humanistes : « ces galériens sont absolument inutiles et même à charge à l'État, très embarrassant et même dangereux dans les lieux où on les garde » 380 . Il propose donc de les utiliser à des fins qui puisse servir la collectivité : « les gens condamnés à ces travaux seraient plus faciles à conduire, étant moins nombreux, occupés, et même fatigués » 381 . Mettant à jour les ressorts anthropologiques et moraux du modèle économique qui triomphe à la fin du règne de Louis XV, il moque la moraline funeste de ses contemporains et fait mine de déclarer la guerre aux libertins 382 . Quant à la régulation des moeurs, elle ne s'arrête devant aucun obstacle : « les domestiques deviennent tous les jours plus nombreux, et d'une insolence dangereuse. On ne saurait y mettre ordre trop tôt. Il faut 1° autoriser par une loi, les maîtres à les faire mettre en prison... de leur autorité privée ; 2° Leur faire défense de frapper, ni même menacer, sous quelque prétexte que ce puisse être, sous peine d'être envoyés, pour toute leur vie, à la chaîne des travaux publics » 383 . Quant aux filles publiques, il recommande de « 2° Les reléguer dans un quartier particulier et ne jamais souffrir qu'elles en sortent ; 3° Les punir avec la plus grande rigueur pour les moindres fautes » 384 . Dépassant enfin les poncifs de l'utopie classique, il va même jusqu'à offrir des solutions pour une société à venir : « Mes commissaires de police et syndic connaîtront les noms, figures, facultés, moeurs et façons de vivre de tous les habitants du royaume, qui jouit aujourd'hui des faveurs de la critique 377 , que Rouillé d'Orfeuil, non pas l'intendant mais le brigadier, à moins qu'il ne soit le prête-nom d'un chevalier moins soucieux de notoriété que d'anonymat 378, p.385

, La question de la pénalité au demeurant n'entre pas dans le rang de ses préoccupations

, Ces ouvrages sont en réalité l'oeuvre du brigadier Augustin Rouillé d'Orfeuil. La France littéraire précise cependant, qu'une « note manuscrite de notre exemplaire de la France littéraire de 1769 attribue la composition de ces trois ouvrages au chevalier de la Force, p.183

L. Rouillé-d'orfeuil and . Des-françois, , pp.382-383

«. La, oisiveté mènent au libertinage? Celui-ci est le père de tous les crimes. Ces travaux continuels ne seraient pas de leur goût, cela en retiendrait beaucoup, p.485

. Ibid, , p.655

. Ibid,

. Ibid, La satire et l'ironie ont donc encore droit de cité en utopie et face à la verve d'Orfeuil, le les instruments, aussi ancestraux qu'éprouvés, p.490

M. Sennelart, Les arts de gouverner : du regimen médiéval au concept de gouvernement, 1995.

V. Milliot, Un policier des Lumières : les mémoires de Jean-Charles Lenoir, lieutenant général de police, p.368, 2011.

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