L'influence de l'univers lynchien sur les monteurs son au cinéma
Résumé
Dès lors que l’on s’entretient avec l’un des acteurs de la chaîne de production sonore cinématographique, il n’est pas rare d’en venir spontanément à parler de David Lynch. C’est du moins ce que nous avons pu constater au cours d’une étude dont l’objectif était de dresser l’inventaire des éléments contextuels pertinents susceptibles d’influencer les monteurs son lorsque ces derniers parcourent et choisissent des sons en vue d’assurer l’habillage sonore d’un film de fiction. Comme nous l’a notamment confié la monteuse son Valérie Deloof – qui a collaboré avec Gaspar Noé que beaucoup qualifient de « Lynch à la française » – non seulement David Lynch et ses nappes sonores représentent « la référence la plus commune aux techniciens du son » , mais dans un contexte où la matière de l’expression sonore est souvent considérée comme « le parent pauvre du cinéma » , l’univers lynchien a également permis de mettre en évidence que le son pouvait incarner un véritable enjeu de mise en scène. En effet, le cinéma de lynch, en s’efforçant de figurer la perte et la disparition par l’intermédiaire de leurs symptômes (notamment dans Lost Highway avec « les sautes d’humeur immotivées […], les éclats intempestifs du filmage […], l’implicite des dialogues [ou] l’insistance de la caméra sur l’inerte », Astic, 2000, p.18), accorde parallèlement beaucoup d’espace d’expression aux sons, lesquels symbolisent avec la musique : « ce qui reste dans le vide de la nuit. […] Vide où se perdent les grands cris de détresse, chambre d’écho pour la solitude du petit vermisseau » (Chion, 2001, pp. 234-235). Dans cet article, il sera donc question d’envisager le rôle qu’occupe le « patrimoine d’œuvres » (Esquenazi, 2007) lynchien dans l’imaginaire des monteurs son, l’influence qu’il exerce sur leurs perceptions ainsi que la manière dont il transparaît dans le choix des sons qui alimentent les bandes-sonores contemporaines.