Marches et grèves. Les tourments d’une gouvernance face aux tensions sociales et politiques (2014-2015) - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue L'Année du Maghreb Année : 2016

Political chronicle of Mauritania The torments of governance in the face of social and political tensions (2014-2015)

Marches et grèves. Les tourments d’une gouvernance face aux tensions sociales et politiques (2014-2015)

Abdoulaye Diagana
  • Fonction : Auteur
Alain Antil
  • Fonction : Auteur
Céline Lesourd

Résumé

The end of 2013 was marked by the long-awaited municipal and legislative elections, which had been postponed several times. In the absence of an agreement between the government and the opposition, the latter had chosen to boycott the two polls: the Union for the Republic - President Mohamed Ould Abdel Aziz's party - thus obtained an overwhelming majority; apart from the presence of a few weak groups, the democratic opposition was thus excluded from the political game. In the early 2010s, anthropologist Mohamed Fall Ould Bah showed that Mauritania's economy, which had previously been structurally indebted and dependent on foreign aid, had clearly begun to shift towards a mining economy since the end of the 2000s. SNIM had been the flagship of the national economy for several decades. But the rise in international prices for the main mining products in the second half of the 2000s, and Nouakchott's policy of attracting foreign investment to the mining sector, marked a real transformation. However, the contraction in international prices for these minerals in recent years has slowed the flow of investment and led operators already established in Mauritania to review their investments or scale down their activities.Unfortunately, this unfavourable economic climate is compounded by the problems of governance and the high levels of corruption that plague the country. In 2015, Mauritania ranked a poor 41st (out of all African countries) in the Mo Ibrahim good governance ranking. The list goes on, of course, to include opacity in the awarding of public contracts, subcontractors sometimes imposed on certain foreign investors, and shell companies protecting the financial interests of certain members of the political staff. On the social front, the last two years have seen many upheavals on all fronts. On the one hand, redundancy plans in large companies, in a country where employment is a major issue, have given rise to demonstrations of discontent. The most striking of these redundancy plans was that initiated by Kinross-Tasiast, a Mauritanian-Canadian company involved in gold ore mining, in which the Mauritanian authorities had placed enormous hopes. On the other hand, the issue of human rights and the fight against slavery (a thorn in the side of the authorities, who have set up a special court for crimes of slavery) have rekindled existing tensions: while demands against the enlistment of populations have intensified against a backdrop of accusations of discrimination against the black populations of Mauritania, the demands of the Haratines to "exist" have also taken to the streets. Finally, Islamic radicalisation is increasingly taking centre stage: in January, Salafist prisoners took their jailers hostage to demand the release of four detainees who had finished serving their sentences but were being held in prison because of their alleged membership of a terrorist organisation. The difficulties of all kinds facing Mauritania plunged the country into a curious atmosphere of "neither war nor peace" in 2014 and 2015. Thanks to the emancipation of "critical" speech, the liberalisation of the airwaves and the democratisation of information made possible by the rise of the Internet and social networks, Mauritanians were able to follow all these events through the national press in relative freedom. But in most cases, the attitude of the public authorities, which resulted either in the use of force to suppress demonstrations or in a failure to take account of social and political demands - which some have likened to contempt - suggests that public affairs management in Mauritania has moved from a policy of "keep quiet" to one of "keep talking".
La fin de l’année 2013 a été marquée par l’organisation tant attendue des élections municipales et législatives plusieurs fois reportées. Faute d’accord entre le pouvoir et l’opposition, celle-ci avait choisi de boycotter les deux scrutins : l’Union Pour la République – parti du Président Mohamed Ould Abdel Aziz – obtient donc une majorité écrasante ; hormis la présence de quelques formations de faible consistance, l’opposition démocratique est ainsi exclue du jeu politique. Au début des années 2010, l’anthropologue Mohamed Fall Ould Bah montrait que l’économie mauritanienne, autrefois structurellement endettée et dépendante de l’aide extérieure, avait très nettement amorcé depuis la fin de la décennie 2000 une mutation vers une économie minière. La SNIM était depuis plusieurs décennies le fleuron de l’économie nationale. Mais l’appréciation des cours internationaux des principaux produits miniers dans la seconde moitié des années 2000, ainsi que la politique d’attraction des investissements étrangers dans le secteur minier déployée par Nouakchott, ont marqué une véritable transformation. Cependant, la contraction des cours internationaux de ces minerais enregistrée ces dernières années a ralenti le flux d’investissements et conduit des opérateurs déjà installés en Mauritanie à revoir leurs investissements ou à réduire la voilure de leurs activités. Cette conjoncture défavorable se conjugue malheureusement à une gouvernance problématique et à la grande corruption qui pénalise le pays. En 2015, la Mauritanie pointe en effet à une piètre 41e place (sur l’ensemble des pays africains) du classement Mo Ibrahim sur la bonne gouvernance. Opacité des attributions des marchés publics, sous-traitants parfois imposés à certains investisseurs étrangers, sociétés écrans protégeant les intérêts financiers de certains membres du personnel politique, la liste n’est, bien sûr, pas exhaustive. Sur le front social, les deux dernières années ont connu de nombreux soubresauts tous azimuts. D’une part, les plans de licenciement dans de grandes entreprises, dans un pays où la question de l’emploi se pose avec une grand acuité, ont donné lieu à des manifestations de mécontentement. Le plus marquant de ces plans de licenciements est celui initié par Kinross-Tasiast5, une entreprise Mauritano-canadienne intervenant dans l’exploitation du minerai d’or et dans laquelle les autorités mauritaniennes plaçaient d’énormes espoirs. D’autre part, la question des droits de l’Homme et celle de la lutte contre l’esclavage (une épine dans le pied des autorités qui ont créé une Cour spéciale pour les crimes d’esclavage) ont ravivé des tensions déjà existantes : alors que les revendications contre l’enrôlement des populations se sont accentuées sur fond d’accusation de discrimination à l’encontre des populations noires de Mauritanie, les revendications « d’exister » des haratines se sont aussi emparées de la rue. Enfin, la radicalisation islamique occupe toujours davantage le devant de la scène : en janvier, des prisonniers salafistes prennent en otage leurs geôliers pour réclamer la libération de quatre détenus ayant fini de purger leur peine, mais maintenus en prison en raison de leur appartenance supposée à une organisation terroriste. Les difficultés de tous ordres auxquelles la Mauritanie est confrontée ont plongé en 2014 et 2015 le pays dans une curieuse atmosphère de « ni guerre ni paix ». À la faveur d’une émancipation de la parole « critique », du fait de la la libéralisation des ondes et de la démocratisation de l’information que permet l’essor d’Internet et des réseaux sociaux, les Mauritaniens ont pu suivre tous ces événements à travers la presse nationale dans une relative liberté. Mais dans la plupart des cas, l’attitude des pouvoirs publics qui s’est traduite soit par l’usage de la force pour réprimer les manifestations, soit par une absence de prise en compte des revendications sociales et politiques – que d’aucuns ont assimilé à du mépris – fait penser qu’en Mauritanie la gestion de la chose publique est passée de la politique du « taisez-vous » à celle du « causez toujours »

Dates et versions

hal-01923914 , version 1 (15-11-2018)

Identifiants

Citer

Abdoulaye Diagana, Alain Antil, Céline Lesourd. Marches et grèves. Les tourments d’une gouvernance face aux tensions sociales et politiques (2014-2015). L'Année du Maghreb, 2016, 15, pp.257 - 277. ⟨10.4000/anneemaghreb.2904⟩. ⟨hal-01923914⟩
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