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Autre Publication Scientifique Info-Reines Année : 2018

Abeille et Paysages, le dispositif Ecobee et ses enseignements

Jean Francois Odoux

Résumé

Les paysages de nos campagnes sont une mosaïque complexe formée de nombreuses composantes variées semi-naturelles ou anthropiques. Le paysage agricole a beaucoup changé ces dernières décennies, sous l’influence du modèle économique visant à une alimentation toujours moins chère au bénéfice de la mondialisation. Ecobee, dispositif observatoire destiné à tester l’influence du paysage sur les abeilles domestiques, a été conçu en partenariat entre l’INRA Magneraud, le CNRS de Chizé, l’INRA Avignon, l’ITSAP et l’ADA Poitou-Charentes. Il s’appuie sur la zone atelier « ZAPVS », une plaine agricole à vocation céréalière et oléagineuse, avec de nombreux gradients de polyculture-élevage, bois et bocages. Il engage chaque année 50 colonies pour tester 10 des 50 secteurs qui quadrillent ce territoire. Toute une logistique et un équipement expérimental permet de suivre ces colonies au long de la saison. En dépit d’un patron général des caractéristiques des colonies, leur taille a régressé doucement sur les 10 dernières années. Un manque de nourriture pour les abeilles en mai-juin a été démontré, mais celles qui bénéficient de surfaces boisées plus importantes sont moins affectées. Nous avons établi un lien entre l’intensité de la disette alimentaire du printemps et la baisse de la surface de couvain, puis par cascade, une hausse de la charge en varroas et une moindre survie des colonies. L’emploi massif des intrants en agriculture est le résultat du modèle économique que nous cautionnons par notre mode de consommation avec l’agrément des gouvernements. Il est malheureusement réducteur et faux de penser que l’arrêt des pesticides résoudra le déclin des pollinisateurs si l’on n’enraye pas la course à la production de masse, désormais dissociée des rendements agricoles. Les études plus récentes, menées entre autre dans notre unité APIS, font état d’effets toxiques des pesticides sur les colonies d’abeilles à des niveaux sublétaux et qui affectent profondément la survie des colonies à court terme. Les analyses de nectar de colza à raison d’une centaine de parcelles par an sont particulièrement inquiétantes. Quasiment tous les champs présentent des traces de néonicotinoïdes dans le nectar, dont certains ne sont pas utilisés pour traiter le colza. Ce travail permet déjà de conclure que la simple interdiction de trois néonicotinoïdes au niveau européen ne sera pas suffisante pour enrayer à court terme les risques d’exposition pour les pollinisateurs. La quantité de nectar produite par les fleurs est très dépendante de l’espèce de plante considérée. En collaboration avec nos collègues roumains, nous avons mesuré le nectar récolté à l’aide de micro-capillaires sur différentes espèces pour en établir un classement, de 10 à plus de 300 kg/ha. Les plantes herbacées rudérales ou pérennes ont globalement un potentiel mellifère supérieur aux annuelles ou adventices. Ces données une fois appliquées à nos parcelles, nous révèlent qu’aucun autre élément paysager, dans notre territoire céréalier n’est capable de fournir autant de nectar que le colza et le tournesol. Le deuxième résultat capital est qu’entre la floraison de ces deux cultures, seules les adventices assurent la soudure, bien que probablement insuffisante. APIBOTANICA, notre base de botanique accessible en ligne permet d’accéder à la flore mellifère, aux espèces fleuries à une période donnée, offrant des photos de plantes ou des pollens. A partir de secteurs d’étude présentant un gradient de fermeture du paysage et des pollens échantillonnés sur les ruches, nous avons conclu au rôle important des ligneux dans l’approvisionnement des abeilles en mars-avril. Ce sont également les analyses palynologiques qui nous ont alertés sur la place prépondérante des plantes adventices dans les récoltes de pollen en période de mi-mai à juillet. Sur l’année en moyenne, les abeilles d’Ecobee ont récolté dans ce milieu agricole céréalier un tiers de leur volume de pollen sur les cultures, un quart sur les ligneux, et un quart sur les adventices des cultures, Coquelicot, Mercuriale et Réséda en tête. La diversité du régime pollinique assure une meilleure survie aux abeilles adultes en augmentant la défense immunitaire, or, les pollens que nous récoltons chez nous sont beaucoup moins variés en fin de saison qu’au printemps. Nous avons, avec l’ITSAP, montré l’intérêt de Cultures Intermédiaires Mellifères (CIM) pour la diversité de la diète pollinique, corrélée par la suite à une meilleure survie hivernale. Les infrastructures écologiques liées aux cultures de tournesol et colza ont également un effet sur la diversité des ressources aux pollinisateurs que nous testons dans un programme européen Sudoe. Avec l’aide d’apiculteurs de toute la France au travers d’un réseau de science participative, « CSI Pollen », nous avons également conclu à la faible diversité pollinique en automne, souvent jusqu’à seulement 2 ou 3 variétés de pelotes en août-septembre. Ce ne sont pas seulement des apiculteurs qui se sont investi dans cette question mais aussi des écoles, des communes et des associations, car la question de la biodiversité concerne la société toute entière. Les lipides des pollens sont des constituants essentiels pour la défense immunitaire, et nos extraits lipidiques de pollens composés majoritairement de coquelicot ont montré un pouvoir inhibiteur sur des germes de loque américaine. Nous avons alors, à l’aide d’un système de saisie embarquée dénommé GéoPoppy, entrepris de compter tous les coquelicots dans la plaine. Après 4 années, nous confirmons la nette préférence de cette messicole dans les blés, colzas, lin et luzerne, alors qu’il est peu fréquent dans les zones bocagères, trop peu ensoleillées. Nous n’avons pas mis en évidence de relation significative entre la quantité de pollens de coquelicot butinée par les abeilles et la quantité de fleurs disponibles aux alentours. L’enseignement premier de cette étude sur la distribution du coquelicot est que plus de 90% des fleurs se situent en bordure de champ, dont une majorité du côté de la route, confirmant son caractère rudéral. Tirons-en des enseignements sur la nécessité de préserver la flore spontanée dans les bordures et l’importance de sensibiliser les collectivités locales, sur la gestion des bords de route pour qu’ils restent fleuris plus longtemps. Enfin, on ne peut plus raisonner aujourd’hui « abeilles et territoire » sans remettre l’abeille domestique dans le contexte élargi des abeilles et des pollinisateurs en général. Dans les prairies, la diversité des relations plante-insectes est très différente selon le mode de gestion et la proportion des abeilles mellifères au sein des pollinisateurs y est assez déconcertante à certaines périodes tant elle est parfois faible au vu de celle des abeilles sauvages ou des mouches. En territoire de culture, les abeilles sauvages sont plus présentes sur les milieux spontanés et les bords des parcelles plutôt qu’en plein milieu, alors que les abeilles mellifères s’aventurent volontiers au centre des colzas et tournesols. Si les pratiques agricoles et l’occupation du territoire ont un effet sur les pollinisateurs, évaluer le service de pollinisation et le cartographier pour le relier au paysage agricole est primordial. C’est l’un des programmes d’activité du CNRS de Chizé mais aussi, en Nord-Charente, de la coopérative agricole OCEALIA, qui pose des nichoirs avec les agriculteurs eux-mêmes. Maintenir efficacement le service éco systémique de pollinisation nécessite que nous aménagions des connexions entre les lisières, bords de route préservées, talus et ensembles largement fleuris. Favoriser la flore mellifère est aussi une question de sensibilisation des citoyens et d’aménagement du territoire. En ce sens, l’agroforesterie ou l’agriculture biologique redonnent une place à ces composantes paysagères, où les ressources florales peuvent être assurées en continu. Nous travaillons actuellement à l’intérêt de l’agriculture biologique pour l’abeille domestique, et avons détecté un bilan positif qui concerne les réserves des colonies au mois de juin. Alors qu’une action protectrice avait déjà été démontrée sur les abeilles sauvages, c’est la première fois qu’une étude conforte ces effets sur l’abeille mellifère. Il reste très complexe de cartographier la pression de l’intensification agricole et son effet sur les colonies à l’échelle importante où nous travaillons. Mais alors que le réseau « Dephy-Fermes » établit pour 6% seulement des exploitations une relation entre l’IFT et la production et que la filière agricole est étonnement peu loquace à ce sujet, des études du CNRS de Chizé ont confirmé que la réduction des pesticides est possible, la communauté de plantes adventices n’ayant pas forcément les effets négatifs systématiquement décriés. L’avenir de la recherche passe par une co-construction des systèmes de culture de demain avec les agriculteurs eux-mêmes. Les jeux de rôles menés par l’ITSAP, visant à mettre en situation des vrais apiculteurs et agriculteurs partageant un territoire autour d’un plateau de jeu, font émerger d’autres choix techniques pour l’avenir… Les abeilles nous le diront…
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Odoux_Ecobee_résumé_1.pdf (462.75 Ko) Télécharger le fichier
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

hal-01858527 , version 1 (26-05-2020)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01858527 , version 1
  • PRODINRA : 437320

Citer

Jean Francois Odoux. Abeille et Paysages, le dispositif Ecobee et ses enseignements. 2018, pp.4-12. ⟨hal-01858527⟩
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