Quand les gendarmes étaient ‘jugés’ : approche comparée des épurations administratives au sein des gendarmeries belge et française après la Seconde Guerre mondiale - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Force publique Année : 2007

Quand les gendarmes étaient ‘jugés’ : approche comparée des épurations administratives au sein des gendarmeries belge et française après la Seconde Guerre mondiale

Résumé

Notre contribution propose une comparaison de l’organisation, des procédures et des bilans des épurations administratives menées au sein de la gendarmerie nationale française et de la gendarmerie belge à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Dans une optique de work in progress, nous réfléchissons à la définition qu’il faut donner au phénomène. Entre la France et la Belgique, l’épuration est-elle prioritairement nationale avant d’être professionnelle ? Autrement dit, ces deux épurations administratives répondent-elles à des dynamiques imputables à la nature du métier de gendarme, ou des particularités nationales, propres aux circonstances de l’Occupation l’emportent-elles ? Il s’agit là d’une interrogation globale dans notre thèse, à laquelle nous tentons d’apporter des éléments de réponse. Correspondant à un contexte de régénération nationale et de justice d’exception, l’épuration administrative constitue pour des institutions de régulations sociales une remise en cause profonde de leur identité professionnelle. Elle oblige les gendarmes à revenir sur leur comportement passé pour définir, par rapport aux actes posés durant l’Occupation allemande, une frontière définissant le punissable de l’acceptable. Pour des corps aux habitus profondément ancrés dans une tradition de l’obéissance, le choc est parfois rude à gérer. Tant en France qu’en Belgique, pour des institutions aux missions toujours plus importantes, l’épuration professionnelle est pourtant indispensable à la redéfinition d’une identité gendarmique dans les sociétés libérées. Elle permet d’affirmer que ce ne sont pas les gendarmeries, en tant qu’institutions, qui ont fauté, mais uniquement certains de leurs membres. Les éléments sains de ces institutions sont ainsi à même d’éliminer de manière autonome les gendarmes fautifs. Trois temps, typiques d’une dynamique de sortie de guerre, sont discernables dans les épurations administratives. Dès les premiers jours de la Libération, un ensemble de mesures provisoires sont prises. En Belgique, elles sont imposées à la gendarmerie de l’extérieur par des autorités de retour d’exil, méfiantes face à l’institution. En France, la situation est différente. L’épuration administrative est rapidement mise en marche par la nouvelle direction de la gendarmerie pour contrarier autant que possible les initiatives locales ou externes au corps. Les autorités de l’arme bénéficient ici d’une plus large autonomie qu’en Belgique. Ensuite, à l’automne 1944, l’insuffisance de ces mesures entraîne une institutionnalisation de l’épuration. Tant en France qu’en Belgique, se mettent en place des commissions d’épuration chargées de conseiller le Ministre sur les mesures disciplinaires à prendre à l’égard du comportement des gendarmes durant l’Occupation. Deux différences majeures sont à relever entre les deux institutions. D’abord, en France, l’unité de base de l’épuration reste la légion au sein de laquelle est établie une commission. Celle-ci transmet les dossiers à la Commission d’épuration et de réintégration des personnels de l’armée de terre (CERAT), qui fait office d’instance régulatrice des mesures proposées. En Belgique, les commissions sont régionales. Elles regroupent donc des affaires provenant de diverses unités. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’instaurer une instance régulatrice avant transmission de l’affaire au Ministre. Ensuite, un doute systématique est appliqué en France à l’égard des personnels militaires. L’objectif de la CERAT n’est pas uniquement d’épurer, mais aussi de réintégrer. Si les commissions émettent des avis sur la collaboration des personnels militaires, elles prennent aussi position sur leur résistance. Autrement dit, l’ensemble des militaires en sont redevables. En Belgique, seuls les éléments supposés collaborateurs doivent répondre de leurs actes. Le contexte politique de l’Occupation permet sans doute d’expliquer cet état de faits. Enfin, à partir du printemps 1945, le système est adopté. On veut l’améliorer, accélérer les procédures, et réparer les injustices les plus flagrantes. En Belgique, la création du Service des Enquêtes (SE) est un exemple représentatif de cette volonté de rationaliser le système. Il s’agit d’un service dont l’unique mission est de procéder à l’instruction des affaires, avant transmission à une commission d’avis. Avec le temps, des possibilités d’appel sont introduites (notamment par le biais de la procédure de dégagement des cadres en France), avant la suppression définitive des instances épuratoires vers la fin 1947. Clairement, les épurations sont des phénomènes longs, et de ce fait marquants. Dans les deux institutions, l’épuration n’est pas négligeable : à chaque fois, ce sont environ 20% des officiers et 5%des sous-officiers et gendarmes qui sont inquiétés. Ainsi, il est possible de confirmer que, malgré leur situation difficile en territoires occupés, les gendarmeries n’ont pas été épargnées à la Libération. Le taux de poursuites à l’encontre des officiers est à cet égard révélateur. Ils sont clairement plus exposés que les sous-officiers. Au-delà d’une stricte logique arithmétique, le bilan de l’épuration ne peut faire l’impasse sur ses conséquences morales et psychologiques. L’épuration contribue à la constitution d’un climat délétère au sein des institutions, dans un contexte pouvant notamment être plombé par des jalousies professionnelles. Bien que nécessaires pour la légitimation sociale et la cohésion interne des gendarmeries, les épurations administratives sont en même temps des causes de problèmes internes, faisant notamment ressortir des problèmes professionnels plus anciens. Si les épurations sont révélatrices des troubles de l’exercice du métier de gendarme sous état d’occupation, elles servent aussi à comprendre l’ensemble des comportements considérés comme professionnellement inacceptables durant l’entre-deux-guerres.

Domaines

Histoire
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-01836834 , version 1 (12-07-2018)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01836834 , version 1

Citer

Jonas Campion. Quand les gendarmes étaient ‘jugés’ : approche comparée des épurations administratives au sein des gendarmeries belge et française après la Seconde Guerre mondiale. Force publique , 2007, 2, pp.141-155. ⟨hal-01836834⟩
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