Les prestations paysannes en pisciculture, clé de voûte du « passage à l’échelle » ? - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Rapport (Rapport De Recherche) Année : 2017

Les prestations paysannes en pisciculture, clé de voûte du « passage à l’échelle » ?

Résumé

L‘appui à l’émergence et à la consolidation d’un réseau de producteurs prenant en charge le développement piscicole est au coeur des principes d’action de l’APDRA Pisciculture Paysanne. On dénombre aujourd’hui plus de 1500 pisciculteurs en Guinée Forestière dont le tiers a été installé par d’autres pisciculteurs. Le « passage à l’échelle » dans le développement de la pisciculture en Guinée Forestière pourra-t-il reposer sur ces prestations paysannes ? Si oui, qu’est-ce que cela implique pour l’action publique ? Cette note propose une analyse des dynamiques piscicoles villageoises, des prestations paysannes (organisation socio-spatiale et logiques des prestataires paysans), et des relations entre acteurs locaux et régionaux de la pisciculture, pour finalement dégager quelques perspectives pour l’action publique en appui à la pisciculture en Guinée Forestière. Elle repose sur des enquêtes de terrain combinant observations participantes, entretiens semi-dirigés et enquêtes systématiques. Les dynamiques piscicoles apparaissent très contrastées entre les villages, tant du point de vue de l’importance et des modalités des prestations paysannes que de l’évolution des pratiques et du référentiel technique associé. Cette diversité oblige les intervenants à se départir d’une approche trop normative en termes de « compétences » qui tend à figer les savoirs et savoir-faire et à « désocialiser » la pisciculture au profit d’une démarche plus souple basée sur l’identification des nouveaux enjeux techniques et des rapports de force entre pisciculteurs et sur la caractérisation et l’appui à la renégociation des règles, le plus souvent informelles, qui régulent localement la circulation des connaissances et des poissons. Les prestations paysannes sont pour partie des prestations individuelles, le plus souvent marchandes, pour partie encadrées par les groupements de pisciculteurs. Lorsqu’elles sont réalisées dans le village même du prestataire et dans les villages environnants, elles contribuent à produire de véritables territoires de pisciculture au sein desquels circulent les savoirs, le matériel et les poissons. La durabilité des prestations paysannes dépend ainsi étroitement de leur ancrage territorial. Il apparaît dès lors important de penser l’intervention non plus seulement à l’échelle du village mais aussi à celle du territoire de pisciculture pour contribuer à renforcer les réseaux locaux de pisciculteurs. Les enjeux de reconnaissance, individuelle et collective, au village et dans l’arène régionale du développement piscicole, justifient en grande partie l’engagement des pisciculteurs dans les processus d’acquisition des connaissances piscicoles et dans leur diffusion auprès de leurs pairs. A travers leur engagement dans l’activité, les prestataires paysans sont le plus souvent de jeunes hommes qui cherchent, en plus d’un revenu monétaire, à se forger un nouveau statut social et une plus grande compétence publique au village ou encore à accéder aux réseaux des professionnels de l’aide au développement. Les projets de développement ont aujourd’hui des effets ambigus sur la dynamique piscicole paysanne. D’un côté, la reconnaissance à laquelle ils permettent d’accéder motive les pisciculteurs à devenir de véritables techniciens paysans. De l’autre, cela les incite à monopoliser le savoir légitime et à s’opposer à l’émergence de nouveaux prestataires pour conserver leur position privilégiée sur les marchés du conseil piscicole. A l’échelle d’une région comme la Guinée Forestière, la dépendance aux financements ponctuels et incertains de l’aide publique au développement crée un ensemble d’incitations allant plus dans le sens du brouillage du référentiel technique et de la compétition entre techniciens professionnels, prestataires paysans et élus de la Fédération que dans celui de la coopération au bénéfice de l’innovation. Dans ces conditions, il apparaît important de penser les dispositifs opérationnels non seulement en fonction d’objectifs techniques mais aussi comme des dispositifs devant permettre, au moins dans le cours de l’action de développement, de substituer aux concurrences entre acteurs de la filière des interdépendances. Nous montrons sur l’exemple de la recherche-action menée sur l’alevinage et du parrainage comment les dispositifs opérationnels peuvent être conçus comme des processus de façonnage institutionnel permettant 1) de mettre en débat les visions concurrentes pour le développement de l’activité ; 2) de définir des rôles complémentaires pour chaque acteur ; 3) de préciser des principes et des règles pour une action collective. Cela implique du temps et des ressources spécifiques. Finalement, les prestations paysannes apparaissent à même de porter le passage à l’échelle, à condition 1) de répondre aux aspirations des prestataires paysans en leur offrant une reconnaissance durable à travers la Fédération ; 2) de redéfinir les rôles des pisciculteurs et des techniciens professionnels en faisant porter le conseil technique et les expérimentations pour l’innovation par les pisciculteurs tout en recentrant l’activité des techniciens professionnels sur l’animation des échanges techniques entre pisciculteurs et des cadres de renégociation des règles collectives régulant la circulation des savoirs, du matériel et des poissons. L’expérience d’un opérateur international comme l’APDRA Pisciculture Paysanne permettrait dès lors 1) de produire la connaissance sur les dynamiques en cours nécessaire à l’identification des nouveaux enjeux techniques, organisationnels et institutionnels ; 2) d’animer des cadres de concertation et de négociation des règles entre acteurs(techniciens professionnels, élus de la Fédération, prestataires paysans, représentants de l’Etat) ; 3) de co-construire des dispositifs opérationnels à portée à la fois technique et institutionnelle ; et 4) de contribuer à l’orientation de la formation des différents acteurs pour répondre aux nouveaux enjeux du développement de l’activité.
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Dates et versions

hal-01789499 , version 1 (11-05-2018)

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  • HAL Id : hal-01789499 , version 1

Citer

Charline Rangé, Augustin Pallière. Les prestations paysannes en pisciculture, clé de voûte du « passage à l’échelle » ? : Logiques et enjeux dans le sud de la Guinée Forestière. . [Rapport de recherche] APDRA Pisciculture Paysanne. 2017. ⟨hal-01789499⟩
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