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Chapitre D'ouvrage Année : 2018

Au risque de la Marseillaise : la pratique du jeu au bagne de Guyane (XIX e -XX e siècle)

Résumé

Bien qu'interdit au bagne de Guyane, beaucoup de forçats s'adonnent au jeu, qui fait oublier le temps d'une partie que l'on est aux durs et qui égaie un peu le morne quotidien de la case. Les jeux pratiqués au bagne sont divers : on joue selon les époques au piquet, à la manille, à la passe, à la belotte ou au loto. Dans le cas de la belotte, les parties se jouent pacifiquement, les mises ne dépassant pas une cigarette ou un café. Il est fréquent que dans une case de forçats, au retour du travail, plusieurs parties de belotte animent les joueurs qui s'y adonnent paisiblement. Rien de comparable toutefois avec la Marseillaise, le jeu de prédilection au bagne. Les sommes d'argent misées et les risques qu'elles font courir aux joueurs appellent une très grande vigilance. Car des disputes peuvent éclater et s'achever à coups de couteau. Ces meurtres sont alors difficilement élucidables : lorsque le cadavre est découvert par des surveillants, personne ne s'avise de dénoncer le ou les coupables. Pour le reporter Albert Londres, il s'agit d'une question d'honneur : « Tous ont des couteaux. Il n'est pas de forçat sans plan ni couteau. Le matin, on ouvre la cage, on trouve un homme le ventre ouvert. Qui l'a tué ? On ne sait jamais. C'est leur loi d'honneur de ne pas se dénoncer. La case entière passerait à la guillotine plutôt que d'ouvrir le bec. » Mais d'après la plupart des témoignages de forçats ou de leur personnel d'encadrement, ce silence serait plutôt à mettre sur le compte de la peur des représailles. Lorsque deux durs se donnent ça sur l'heure, mieux vaut savoir tenir sa langue. Les Pierrot ou les bourriquots, c'est-à-dire les mouchards, exposent leur vie en cas de dénonciation. Car les forçats se retrouvent seuls la nuit dans leur case, sans surveillance. Enfermés depuis l'extérieur, ils sont livrés à la loi des plus forts, des forts-à-bras ou des caïds, qui imposent leur domination : « En parlant, un témoin ou une victime se condamneraient d'eux-mêmes à mort. La collectivité punit de cette peine les imprudents qui ont la langue trop longue. Aussitôt, c'est la conspiration du silence. » Ce qui entraîne une difficulté pour l'historien qui souhaite analyser les sources disponibles sur la pratique du jeu au bagne. Les fonds conservés aux Archives nationales d'outre-mer ou aux Archives départementales de Guyane sont peu diserts en la matière. Seules les sources secondaires, comme les témoignages de forçats, de leur personnel d'encadrement ou de journalistes s'attardent sur cet aspect de la vie sociale des forçats. Néanmoins, le jeu est une entrée heuristiquement féconde pour celui qui souhaite observer et analyser la société des bagnards. Car à travers lui, c'est tout un pan de la vie intime, sociale et économique du bagne qui se dévoile et permet une investigation anthropologique saisissante des moeurs et des coutumes en usage au bagne de Guyane.
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Dates et versions

hal-01699415 , version 1 (02-02-2018)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01699415 , version 1

Citer

Jean-Lucien Sanchez. Au risque de la Marseillaise : la pratique du jeu au bagne de Guyane (XIX e -XX e siècle). Charles Illouz, Pierre Prétou. Heur et malheur du joueur. Études sur la violence et le jeu , Presses universitaires de Rennes, 2018, 978-2-7535-6515-9. ⟨hal-01699415⟩
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