Proust et les architectures déconstruites
Résumé
Nul n'ignore l'importance de la cathédrale dans l'imaginaire esthétique de Proust : « Je bâtirais mon livre, je n'ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe ». Le monument médiéval offre l'exemple prestigieux d'une totalité construite autour d'une idée qui rayonne et s'impose dans toutes les parties de l'édifice. Le grand livre de Luc Fraisse, L'OEuvre cathédrale, dit tout ce qu'il faut savoir sur ce symbolisme incarné dans la pierre de l'église, cet «espace à quatre dimensions». Et pourtant, à lire dans La Recherche le détail des descriptions consacrées à des objets architecturaux, en découvrant les métaphores qui s'y réfèrent, c'est une tout autre esthétique qui apparaît. L'édifice qui séduit est toujours remodelé, voire mis en pièce et rendu méconnaissable par le jeu d'une force qui s'exerce sur lui. S'impose aussi une prédilection ludique pour le composite, comme le montre le fameux «gâteau architectural» de Gilberte, «aussi débonnaire et familier qu'il était imposant», attendant qu'on vienne le «découronner de ses créneaux en chocolat» et «abattre ses remparts aux pentes fauves et raides, cuites au four comme les bastions du palais de Darius». Le texte, par ses fantaisies architecturales, propose une réflexion sur la forme : toute forme ne vaut-elle pas par sa secrète et dynamique aspiration au difforme, à l'informe ? L'architecture n'est-elle pas le lieu paradoxal où se découvre cette étrange loi ? C'est pourquoi, Albertine qui aime à détruire les glaces «prises dans ces moules démodés qui ont toutes les formes d'architecture possible» manifeste sans doute l'autre visage de l'écrivain. Au bâtisseur symboliste s'oppose un esthète désinvolte, dont la «rêverie, semblable à ces architectes élèves de Viollet-le-Duc […], ne laisse pas une pierre du bâtiment nouveau». Comment ces deux figures antagonistes peuvent-elles coexister dans une même œuvre ?
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)