W. Voir-aliocha, . Lasowski, and G. July, Les Faux-Monnayeurs, pp.2012-230

S. Chaudier, Après tout, ce n'était peut-être là qu'un préjugé ; mais les préjugés sont les pilotis de la civilisation, ( FM, 2019.

. Plus, est la satire continue de l'esprit et de l'art si français de la conversation User et abuser du bel esprit, cet apanage du lettré, constitue une tentation présente en chaque personnage, ou peu s'en faut, même s'il est vrai que l'aristocratique rive gauche de Passavant tient à ce

. Possédé-par-un-bien-pauvre-hybris, le bel esprit croit que tout ce qu'il ne voit pas n'existe pas. Olivier, lui, pense qu'il lui suffi t d'un peu d'esprit pour se rendre maître de celui du comte : [48] ? Eh bien, qu'en pensez-vous ? ? Il est excellent

E. Laura-comme-en-lilian, le bel esprit s'estime très clairvoyant ; aussi est-ce sous la forme ironique d'un conseil désintéressé que Lady Griffi th croit prendre barre sur Passavant, elle dont les piques visent moins la pédérastie du comte que sa prétendue naïveté : [50] ? Et puis je vous conseille de ne pas répéter partout qu'il vous ennuie, On comprendrait trop vite pourquoi vous le fréquentez. ( FM, p.53

. En-faisant-don-À-passavant, personnage méprisable, d'une provision d'ironiques bons mots, Gide montre par là le peu de cas qu'il fait de ces richesses, mais aussi, et paradoxalement, son goût particulier pour ces tentations de l'esprit, dont toute son oeuvre, Journal en tête, regorge : [51] ? Non ; moi, je mets ma coquetterie à ne pas rougir, fût-ce de la boutonnière, pp.146-147

. Le-lecteur-aurait-tort-de-bouder-son-plaisir, mais ce plaisir léger des mots qui pétillent ne tire guère à conséquence. Il n'empêche que le narrateur, pour dénigrer Robert, n'a d'autres ressources que d'imiter son esprit, montrant par là la puissance de séduction qu'il exerce : [53] Robert de Passavant, qui se dit maintenant son ami, p.43

. Proche-de-l-'esprit and . Le-cynisme, ce mépris amusé des conventions se justifi e par l'élitisme. Le cynique aristocratique estime en eff et que ce qui tient le commun des mortels ne saurait entraver la volonté de l'homme supérieur qu'il prétend être : [54] « Mais votre père? ? Ah ! j'oubliais de vous dire : il est mort, il y a? » Il tire sa montre et s'écrie : « Sapristi, qu'il est tard ! bientôt minuit? Partez vite. ? Oui, il y a environ quatre heures. » ( FM, pp.47-48

. Bernard-est-moins-cynique-qu-'il-ne-joue-À-l-'être and . Qu, Armand : [55] Ça joue la larme, pensa-t-il. Mais mieux vaut suer que de pleurer. ( FM , 13) [56] On leur a mis deux lits pour la forme, mais c'était assez inutile

?. Et-ce-paradoxe-convient-parfaitement-À-bernard-et-armand and S. De-la-triste-rachel, au grand dam du narrateur. Mais il faut se rendre à l'évidence : comme le dit Pauline avec une ironie amère, « c'est toujours quand une femme se montre le plus résignée qu'elle paraît le plus raisonnable » ( FM , 308), ce qui est assurément l'une des phrases les plus justes du roman « le gros sanglot qui lui mont[e] à la gorge » en quittant la maison ( FM , 22) montre quelle en est l'aune. Le narrateur, enfi n, n'est pas exempt d'un intermittent cynisme, lui qui se dispense d'une scène à faire, et d'un utile eff ort d'imagination, Mais Lilian nous a avertis : rien de plus puritain que certains libres penseurs ( FM , 66), pp.340-341

L. Bernard, Il a « comme épuisé toutes ses réserves d'anarchie » ( FM , 216) par son geste inaugural, dont il tente apparemment de se racheter par un désir de dévouement. « Ce qui le dépitait plutôt, c'est qu'Édouard ne fît point appel à certains dons qu'il sentait en lui et qu'il ne retrouvait pas dans Édouard Il ne sait pas m'utiliser " , pensait Bernard, qui ravalait son amour-propre et, sagement, ajoutait aussitôt : " Tant pis » ( FM , 181) Par un décrochement rythmique, la mise en exergue de l'adverbe sagement semble marquer l

. Parangon-du-contentement and . Tityre-sert-au-narrateur-de-paludes-de-repoussoir, Ce piètre littérateur dénonce auprès de ses amis l'étouff ement social sans pouvoir lui-même donner à sa vie un salutaire changement de cap ; il ne se résout qu'à chagriner sa triste compagne, la douce Angèle, par une agitation bien inutile Après un voyage pluvieux qui se clôt piteusement, il confi e : « ? Il est assez heureux, après tout, que ce petit voyage ait raté ? pouvant ainsi mieux vous instruire. [?] Vous pleurez, chère amie ?? ? Du tout ! fi t-elle. ? Allons ! Tant pis, Du moins vous êtes colorée. » (André Gide, Romans. Récits et soties. OEuvres lyriques, pp.138-139, 1958.

. Doublement-décevant,-le-narrateur-de, Paludes d'abord se satisfait d'un enseignement pédagogique de l'échec puis, ne parvenant pas à faire pleurer son souff re-douleur, il se contente, goujat, de lui voir meilleure mine et dénonce, sadique, cette satisfaction a minima par la locution adverbiale du moins

. Une-fois-qu, ironie est moralement utile, quelle place lui a-t-on assigné dans l'échelle des valeurs gidiennes ? L'ironie n'a rien de très noble ; elle est à la portée de quiconque a un peu d'intelligence et de culture, Il en va tout autrement de l'humour

À. Humour and . Reconnaît, Freud explique que chaque fois que le moi se sent dépassé par un réel qui l'angoisse, le rapproche de la mort, le surmoi, bon prince, lui fournit une parade effi cace : les aspects douloureux du réel sont anéantis par un discours qui feint de considérer la victime ? le moi ? comme une petite chose insignifi ante, ne méritant qu'un mot d'esprit pour épitaphe. Ainsi s'explique le succès de l'humour : il transforme un énoncé solipsiste socialement irrecevable (une plainte, une indignation) en un petit poème circonstancié, agréable à entendre et à retenir ; et alors que l'ironiste présente un ethos triomphant d'une altérité méprisable, l'humour a la vertu de remettre le moi à sa place, Les Faux-Monnayeurs , les énoncés humoristiques ne visent pas de cible. Ils font surgir le potentiel comique que toute réalité comporte. C'est ainsi que Bernard expédie par l'humour la question pourtant déchirante de l'identité, de la fi liation : [60] Ne pas savoir qui est son père, c'est ça qui guérit de la peur de lui ressembler. ( FM , 13)

S. Freud, «. L-'humour, ». , and I. L. , Inquiétante Étrangeté et autres essais , Fernand Cambon (trad, pp.321-328, 1985.

S. Chaudier and J. July, attaque du roman ce ton allègre qu'on retrouve encore, çà et là, dans la suite du récit : [63] Tout le monde ne peut pas se payer, comme Hamlet, le luxe d'un spectre révélateur, FM , 63) [64] L'impératif est, comme dit l'autre, catégorique : sauver Laura. ( FM

L. Kant, Bernard est d'ailleurs tout sauf kantien ; ce jeune casuiste délibère peu ; il se laisse guider par l'excellence de ses sentiments, et à juste raison, comme le prouve Laura en qui, face à Bernard, la crainte cède « à la curiosité, à l'intérêt et à cette irrésistible sympathie qu'éveille un être naïf et très beau » ( FM , 129). L'humour est une humeur qui entraîne ; il suspend les évaluations ; le lecteur n'est plus invité à juger Bernard, à démêler le juste de l'injuste, la présomption du naturel. La fi ne fl eur de l'humour s'épanouit parfois sur les terreaux les plus grassement ironiques : [65, mais pour éviter l'envahissement, on avait condamné la porte entre le parloir et ce salon, ce qui faisait Armand répondre à ceux qui lui demandaient par où l'on pouvait rejoindre sa mère : « Par la cheminée ». ( FM

. Ironie-contre-le-pasteur, est pas très pieux, prétend tirer de sa foi catholique une conséquence imprévisible : l'indiff érence à la morale conjugale, pourtant commune à toutes les églises chrétiennes, sous le fallacieux prétexte que c'est un calviniste qui l'énonce. Se dire « catholique » est ici une façon de s'avouer homosexuel : parce qu'il aime Édouard, Olivier, dans ce moment de grâce, s'émancipe des assignations hétéro-normatives en invoquant à contre-emploi une identité religieuse à laquelle ordinairement il ne tient guère. C'est un jeu pur, enté sur le désir et donc, pour Gide, sur la nature. Strouvilhou, Lady Griffi th sont eux aussi capables d'humour : [67] Il était censé suivre des cours, mais, quand on lui demandait : lesquels ? ou quels examens il préparait, il répondait négligemment : « je varie ». ( FM , 105

L. Citons and . Griffi-th, « Ici, c'est comme dans les mosquées ; on se déchausse en entrant pour ne pas apporter la boue du dehors. » ( FM , 66) ; la boue désignant par métaphore les remords ou les scrupules, c'est un Islam ami de l'immoralité que Lady Griffi th, p.23

. Dans-l-'exemple, Bernard s'empare de la perle et referme l'huître aussitôt

S. Chaudier, tout ce que j'en ai dit ci-dessus ? et que le narrateur prétend n'avoir écrite que pour des raisons strictement matérielles) et un humour délesté d'enjeux et attesté par la forme joueuse d'un énoncé faisant bon accueil aux coïncidences étranges qui saturent le monde (ex

. Au, ils semblent croire que l'esprit, les mots puissent se rendre provisoirement maîtres du réel : l'ironie déboute les prétentions exorbitantes d'un discours insuffi samment fondé ? avant d'être parfois elle-même déboutée de ses ambitions ; l'humour apaise, par un jeu formel, l'anxiété d'un sujet aux prises avec une situation désagréable. Mais Les Faux-Monnayeurs n'est pas un roman où la réalité se laisse si facilement dissoudre dans le discours. Contre l'impérialisme de la parole et des signes se dressent des résistances scandaleuses sur lesquelles sans cesse l'esprit revient buter, comme ce « tragique moral » ( FM , 125) qui enveloppe de sa funèbre aura aussi bien le jeune Vincent que le vieux La Pérouse : [74] Vincent, tout en marchant, médite ; il éprouve que du rassasiement des désirs peut naître, p.121

S. Vincent, De l'ambitieuse Lilian, il n'y a rien de bon à attendre ? et une thèse pédérastique et misogyne ici se fait jour : tous les jeunes bourgeois de grand avenir, déplore le roman, n'ont pas la chance d'être attirés par un Édouard ! Qu'on raille son histrionisme et son égoïsme inoxydable, qu'on le décrive comme hystérique ou paranoïaque, il n'en reste pas moins que La Pérouse échappe en partie à la prise de l'ironie : manquant d'humilité, devenu insensible à la bonté de son dieu, La Pérouse projette sur son créateur l'image de sa propre cruauté ; et le sentiment intime de la damnation n'est pas de ces réalités que Gide consent à balayer d'un revers de main. Pourquoi ? La Pérouse exemplifi e, par ses relations tourmentées avec son dieu, la question de l'idolâtrie, qui se pose avec toute son acuité existentielle dans le domaine de l'amour : [76] Chacun des deux êtres qui s'aiment se façonne à cette, p.76

S. Gide, elle était malade d'un excès de culture s'interposant entre soi et la possibilité du bonheur Crever la bulle du logos pour atteindre au vrai, qui est aussi le désirable, à la chair, à la profondeur sensible de l'être, dans un contact qui est presque toujours une extase, telle est la tâche inlassable du héros gidien. Pour Édouard (et comment lui donner tort ?), il n'est pas de vérité plus importante que celle que résume le beau visage d'Olivier : [81] [?] mais je sens bien, et j'ai beau m'en défendre, que la fi gure d'Olivier aimante aujourd'hui mes pensées, qu'elle incline leur cours, FM , 89) [82] [?] dès mon premier regard, ou plus exactement dès son premier regard, j'ai senti que ce regard s'emparait de moi et que je ne disposais plus de ma vie. ( FM , 96

. Que-l-'amour and . Vecteur-de-vérité, soit une tâche sérieuse, dont détourne la fausse monnaie, tel est bien l'orient du roman ; l'amour fait cesser l'empire de la dérision, de l'esprit critique et de la blague, esprit certes salutaire dès lors qu'il s'agit, comme Socrate, de faire tomber les masques et de crever les outres ; mais l'homme ne vit pas d'outres crevées et de masques chus ; telle est bien l'insuffi sance de l'ironie