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Chapitre D'ouvrage Année : 2013

« Le discours de la loi dans la Recherche : contribution stylistique à l’épistémologie proustienne »

Résumé

La phrase poétique proustienne a beaucoup retenu, et à juste titre, l'attention des stylisticiens ; en revanche, si tous les critiques s'accordent sur l'importance des maximes dans La Recherche et rattachent ce trait à l'influence persistance de l'esthétique classique sur le style Proust, l'énoncé gnomique, lui, semble bien être le parent pauvre de la recherche en stylistique et en linguistique textuelle, telle qu'elle s'applique à Proust. La présente étude ne vise pas à se placer sur le terrain esthétique, en convoquant à nouveau l'opposition traditionnelle du roman poétique et du roman des lois, c'est-à-dire de la sensibilité ou de l'imagination et de l'intelligence. Elle voudrait plutôt partir d'une étude lexicale du mot « loi », pris dans son acception épistémologique, et mettre au jour la pluralité des significations et des enjeux que recouvre ce mot dans La Recherche Comment devons-nous recevoir ces énoncés littéraires qui, dans La Recherche, se présentent comme des lois ? Avec le sérieux et la naïveté d'un lecteur prêt à examiner, à discuter, la valeur de vérité de tels énoncés ? Ou avec la désinvolture esthète du lecteur déniaisé, qui tient pour suspecte toute prétention littéraire à produire une connaissance fiable, dans quelque domaine que ce soit ? L'enquête stylistique peut-elle nous aider à trancher cette question ? Le narrateur du Temps retrouvé est assurément l'un des porte-parole de Proust ; les lois qu'il énonce sont l'une des traductions romanesques de ces « croyances intellectuelles », de cette « Vérité » que Proust tient à communiquer à ses lecteurs. La question que posent ces énoncés est double : que faut-il entendre par « loi » dans la Recherche ? Quelle peut être la valeur de vérité de ces lois ? À ces deux questions, l'écrivain n'a pas pu ou pas voulu apporter de réponse cohérente, comme s'il revenait au lecteur de formuler la doctrine qui valide la prétention « législatrice » du texte : « Là où je cherchais les grandes lois, on m'appelait fouilleur de détails » (TR, t. IV, p. 618). Soit. Mais en quoi consistent ces « grandes lois » ? D'où proviennent-elles ? Qui les découvre ? Et comment ? L'homme commun se trahit et, ce faisant, trahit les lois qui expliquent son comportement ; l'artiste, lui, « surprend » ces lois ; mais pourquoi l'artiste serait-il plus capable qu'un autre de percevoir ces lois ? Comment justifier que « le sentiment du général » soit une spécialité de l'écrivain et non de l'homme du monde, si sagace dès que ses intérêts sont en jeu ? Quand le narrateur s'analyse, c'est alors « le chagrin » et non plus « le sentiment du général » qui le rend apte à découvrir des lois. La confusion croît encore quand le contexte empêche d'apporter la moindre détermination au mot « loi ». Le rapprochement avec la science ne fait que compliquer le problème : les lois de l'Art, prétendument « aussi délicates que celles de la Science », se rapportent-elles à l'Art ou bien sont-elles les lois du monde que l'artiste met au jour ? On pourrait conclure que Proust ne sait pas ce dont il parle quand il emploie le mot « loi ». Faute de disposer d'une épistémologie conséquente, il abuserait d'une notion floue dépourvue de tout intérêt heuristique ; le mot « loi » ne serait qu'un cache-misère intellectuel. Nous voudrions montrer au contraire que le roman construit ce que ni la lexicographie ni la philosophie ne parviennent à faire : une signification simple et opératoire du mot, capable de décrire et d'éclairer l'expérience quotidienne, dans ses multiples aspects, intimes et sociaux. Appréhendé dans une perspective stylistique, l'intérêt du mot « loi » se révèle : cet outil façonne la représentation que Proust se fait du réel. Cette interprétation référentialiste, pragmatique et sérieuse de la loi dans le roman n'est pas invalidée par les quelques cas où l'humour relativise la portée de la « règle générale » qu'il énonce.
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hal-01675985 , version 1 (05-01-2018)

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  • HAL Id : hal-01675985 , version 1

Citer

Stéphane Chaudier. « Le discours de la loi dans la Recherche : contribution stylistique à l’épistémologie proustienne ». Geneviève Henrot Sostero et Isabelle Serça (dir.). Marcel Proust et la forme linguistique de la Recherche, éditions Honoré Champion, p. 261-283, 2013, coll. « Recherches proustiennes ». ⟨hal-01675985⟩
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