Simenon : poétique de l’imparfait
Résumé
Jamais les mots ne coïncident avec les choses. Toujours elles échappent. Le langage ne peut restituer la fluidité pure, la légèreté originelle de ce qui arrive, de ce qui, imperceptiblement, s'amorce. Il est lourd, vulgaire, dès lors qu'il veut rendre compte de l'impondérable complexité de notre rapport au temps. L'imparfait s'offre cependant comme le moyen de remédier à cette imperfection. L'aspect sécant de ce « tiroir verbal » permet en effet de réaliser le rêve poétique qui hante Simenon : faire advenir au coeur du récit la communion qui en est la raison d'être. Le rythme proprement narratif du roman policier tend sans cesse vers l'avant, vers la résolution de la crise. L'imparfait, lui, retient le lecteur. Il lui offre la possibilité de s'identifier à un personnage, de s'investir dans un lieu, une atmosphère. En cela il suspend une double malédiction : celle qui rend les mots étrangers à ce dont ils parlent (choses ou événements) mais aussi étrangers à ceux à qui ils sont destinés. De nombreux imparfaits atypiques – employés en lieu et place de passés simples ou de plus-que-parfait – relèvent de la catégorie rhétorique de l'énallage. Le gauchissement imprimé à l'usage n'est jamais arbitraire quand, répété, il révèle une vision du monde qui s'efforce de se traduire en mots : les imparfaits de Simenon sont alors l'un des procédés par lesquels l'écrivain imprime sa marque sur son texte, et cet effet de signature, cette appropriation subjective de la langue se nomme précisément le style.
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)