. Et-aussi, C'est précisément le mouvement, le saisissement face à une singularité jusque-là méconnue que Jouhandeau nomme le "moi-même". C'est pourquoi la photographie est, à tous les sens du terme, une épreuve. Pour Jouhandeau, la photographie n'est pas un art de la reproduction Comme l'individu qu'elle représente, elle est marquée par le sceau du singulier : "j'ai sous les yeux deux exemplaires du même cliché et la ferveur de l'expression n'y est pas la même" (p. 15) Mais cette singularité ne se voit pas. La photographie telle que Jouhandeau l'appréhende inflige au moi la chance et la mortelle déception de l'invisible : ce que je suis ne se voit pas 7 . Autant dire que ce que je suis, seul mon langage peut l'inventer. Le "moi-même" procède ainsi du double paradoxe de l'altérité et de l'invisibilité ; il est donc à proprement parler une fiction, une légende. Écoutons-la : Il me semble que la présente photographie laisse percevoir ce qu'il peut y avoir de connivence entre l'Éternel et moi, 53) Si on me disait que ce visage est celui d'un Ange et que cette main est la main de Dieu, je ne serais pas autrement surpris, bien que je sache que ce visage est celui de mon fils Marc et que c'est là ma main. (p. 103)

. Jouhandeau-est-l-'écrivain-comblé-par-la-photographie, Une théologie, c'est une érotique du lien à Dieu", estime Daniel Sibony 8 ; une érotique, c'est-à-dire un art du contact Puisque Dieu se manifeste en disant "je suis celui qui est Jouhandeau, porté par sa foi, s'estime fondé à s'approprier l'assertion divine. En se révélant par la parole, Dieu signifie que la parole est créatrice du "Je suis". Partir en quête du "moimême" , de cet improbable énoncé qui résulte d'une énonciation où le "je

. Dieu-donne-À-l-'écrivain-la-parole-qui-lui-Échappe-et-qui-le-fonde,-qui-le-fonde-parce-qu-'elle-lui-Échappe, La photographie montrera donc l'invisible qui advient par le langage, c'est-à-dire "la béatitude infinie et éternelle de Dieu, à laquelle participe notre être intime" (p. 33) On reste sceptique ? Tant pis. La légende photographique selon saint Jouhandeau réactive le vieil oracle prophétique, Ils ont des yeux et ils ne voient pas

. Étymologiquement, en français médiéval, "désemparer" signifie démolir

. 'est-ce-que-jouhandeau-nomme-la-nudité, Il prête cette parole à son ami André Rouveyre : "le propre de ton visage c'est qu'il est nu" (p. 77) Jouhandeau adresse sa "piété", sa "vénération" au lapin, "fourré comme exprès pour faire paraître son oeil plus nu Cette nudité est celle d'Adam

D. Sibony and . Perversions, Dialogues sur les folies actuelles, Paris, Le Seuil, collection "Point essais, p.57, 2000.