. Le-texte-démonte-la-batterie-du-libertin-amoureux, « Il n'était pas conséquent : tantôt il niait ses infidélités, tantôt il les justifiait, p.26

. Le-vertige-est-la-forme-hyperbolique-de-la-pesanteur, autre, à sa vie affective la plus intime ; sans compassion, il n'est pas d'amour possible Le vertige réintroduit l'amour de soi dans le sublime de la compassion : on jouit alors de son abaissement en contemplant l'humiliation de l'autre. En Tereza, l'ascèse amoureuse finit par triompher de l'égoïsme, mais sans la conduire à la plénitude. Qu'en est-il de Tomas ? Tomas est l'homme du corps. Deux passions se partagent sa vie : la médecine et le coït Ces deux activités sont envisagées sur un mode lyriquement héroïque, comme deux formes de conquête. Dans les deux cas, il s'agit en effet de franchir une frontière, de passer de l'apparent (la peau, la femme vêtue), au caché (la maladie sous la peau, l'infime différence physique où réside la beauté de la femme) Mais sous l'influence de l'amour, c'est-à-dire de Tereza, Tomas renonce à la médecine et au libertinage Ce renoncement est paradoxalement envisagé comme une libération : Il songea que sa poursuite des femmes était aussi un « es muss sein ! », un impératif qui le réduisait en esclavage. Il avait envie de vacances. Mais de vacances totales, de prendre congé de tous les impératifs, de tous les « es muss sein ! ». S'il avait pu prendre congé de la table d'opération de l'hôpital, pourquoi ne pourrait-il pas prendre congé de la table d'opération du monde où son scalpel imaginaire ouvrait l'écrin du moi féminin pour y trouver l, Qu'y a-t-il donc de si décevant dans la médecine et dans le libertinage ? L'amitié érotique repose sur l'exclusion de la sentimentalité

S. Or and . Qu-'on-en-découvre-le-charme-et-la-puissance, le lien amoureux produit un enchantement qui renvoie le monde de la pure visibilité à son inconsistance. Les mystères du corps sont en effet de pauvres mystères en comparaison de ceux de l'âme : S'il lui avait parlé d'une voix douce et grave, son âme aurait trouvé la force de remonter à la surface du corps

. Dans-la-scénographie-amoureuse, être aimé ; l'invisible se manifeste et rayonne Ce qui scelle à jamais l'intensité d'un tel moment, c'est la métaphore : [Tomas] s'était agenouillé à son chevet et l'idée lui était venue qu'elle lui avait été envoyée dans une corbeille au fil de l'eau. J'ai déjà dit que les métaphores sont dangereuses. L'amour commence par une métaphore. Autrement dit : l'amour commence à l'instant où une femme s

. La-métaphore-est-dangereuse-parce and . Qu, elle est en prise avec l'une des rares réalités qui soient capables de bouleverser l'ordre bien réglé d'une existence. La métaphore est le langage même 33 ILE, II, pp.97-131

. Trahir and . La-trahison-est-une-fuite, « Sabina sentait le vide autour d'elle. Et si ce vide était précisément le but de toutes ses trahisons ? 39 » Ne vient-il pas en effet un moment où toutes les possibilités de trahison ayant été expérimentées, le sujet est voué à la répétition, à l'épuisement ? C'est ce qui arrive à Tomas, après deux ans de libertinage effréné à Prague : « il était fatigué, pas seulement physiquement, mais aussi mentalement 40 ». Il est révélateur que Tomas souffre non de panne sexuelle ? mais d'un souffle devenu court, comme si c'était moins la puissance libertine qui était en cause que le principe vital qui permet l'exercice d'une telle puissance. Or que manque-t-il aux libertins si ce n'est l'immersion dans l'invisibilité de l'amour ? La dernière partie du roman, « Le sourire de Karénine » consacre l'amour comme la plus grande des valeurs politiques. Le roman construit ce qu'il faut bien appeler une idylle : l'éloge de l'amour s'inscrit dans un cadre rural. Mais Kundera invente le petit genre de l'idylle marxiste : Aller vivre à la campagne

«. La-musique, En cela, Sabina se sépare de Franz, et avec lui, de toute l'esthétique romantique. Il ne s'agit nullement de faire pressentir l'infini : « oui, qui cherche l'infini n'a qu'à fermer les yeux 44 ! » L'infini n'est qu'une facilité. Beaucoup plus consistante apparaît l'exigence de voir la réalité, de la tenir sous son regard. Il faut pour cela percer à jour tous les trompe-l'oeil. Sabina commente ainsi son travail de peintre : Devant c'était toujours un monde parfaitement réaliste et, en arrière-plan

. Tomas-ne-cherche-pas-ce-qui-lui-est-utile, Ce savoir sans autre finalité que lui-même définit l'ethos aristocratique : il ne veut ni conserver, ni accroître son être, mais le risquer, l'éprouver. L'« au-delà » qu'il cherche n'est donc pas un arrière-monde, mais un autre monde ; en cela, Tomas se sépare de Franz, à qui le narrateur réserve cette condamnation sans appel : « d'ailleurs, il avait toujours préféré l

N. Autorité, Sa profonde méfiance à l'égard des hommes » engendre « le doute quant à leur droit de décider de son sort et de le juger 48 ». Rationalisme, empirisme, libéralisme : ces concepts clé de l'âge des Lumières définissent la pensée anti-lyrique. L'individu qui crée ne peut être, pour Kundera, que cet homme libre dont on vient de cerner la personnalité intellectuelle et morale. En Tereza, « l'amour naissant a aiguisé [?] le sens de la beauté 49 ». À l'aide de signes successifs ? et qui sont autant de hasards ? elle compose une constellation : le livre que lit Tomas, le quatuor de Beethoven joué à la radio, le banc où il s'assied pour l'attendre, le numéro de sa chambre, tout cela, Tereza le combine pour faire surgir 43 ILE

. Un-nouveau-champ-de-forces, Ces signes hétérogènes, en eux-mêmes plutôt banals, « sont devenus la source d'énergie où elle s'abreuvera jusqu'à la fin 50 ». Et si tout cela n'avait aucun sens ? Pourquoi un homme libre et doué de raison accepterait-il de lier son destin à des configurations aussi ténues ? La nouvelle Tereza qui s'engendre ainsi elle-même n'estelle pas le fruit de « six grotesques hasards 51 ? » Peut-être ; mais il n'est pas de beauté qui ne soit l'expression d'un bouleversant pari, Créer de la beauté ? et de la beauté vivante ? c'est évidemment consentir à l'incertitude : « einmal ist keinmal », « une seule fois ne compte pas

. Conclusion-lire and . Kundera, est consentir à voir raillées ses plus chères illusions : ses illusions politiques, ses illusions amoureuses. C'est pourquoi la France de 2007 a quelques bonnes raisons de ne pas aimer Kundera. Ce diable de romancier dissèque le kitsch politique, son attachement à la Gauche, presque toujours pensée comme réalité et jamais comme mythe 50 Ibid, pp.29-103