«. Significativement, ». Tu-parles, . Tu-dis-n-'importe-quoi, and . Tu-mens, épanorthose crée un ethos ; elle dessine la figure d'un locuteur qui revient sur sa parole comme le criminel sur les lieux de son crime ; et ce retour incessant trahit une volonté défaillante sur laquelle il est impossible de compter. Le roman met en scène une énonciation dépourvue de la moindre éthique ; le locuteur ne résiste jamais à la tentation de se refaire, de se satisfaire par le langage, de prendre par les mots sa revanche sur la réalité. C'est cette force réactive par excellence qui porte la rhétorique du bégaiement. Affichant son incompétence langagière pour en tirer parti, comme le professionnel de la mendicité ses infirmités

. De-la-littérature-considérée-comme-un-art-de-pacotille-je-sais-bien, conduit à rapprocher les deux instances ? ce qui ne revient pas à les confondre ou à les identifier Silvère Fonda écrit un roman intitulé? Nuage rouge (NR, 70, 99) De sa femme, Suzanne, le narrateur confie : « Elle ne se doutait pas qu'en écrivant je l'inscrivais elle aussi dans un temps saisissable » (NR, 66) Ce roman est, à bien des égards, un éloge de Suzanne, femme bafouée mais généreuse (NR, 60 et 175) Or il est dédié à une certaine? Suzanne (NR, 9) Il n'est certes pas question de dire que l'histoire de Silvère Fonda est celle de Christian Gailly car la réalité et la fiction ont chacune leur autonomie ; il n'en reste pas moins que le dispositif choisi invite à mettre au jour une solidarité esthétique et morale entre l'auteur et la figure d'écrivain qu'il met en scène. Quel est l'enjeu d'une telle complicité ? L'essentiel du roman est fondé sur la rivalité de deux hommes : le bègue, le castré. Le premier cesse de l'être quand il raconte comment le second le devient. Porte-parole de Lucien, Silvère lui prend son désir, Rebecca (NR, 117) ; mais Lucien avait ouvert les hostilités, en possédant Suzanne avant Silvère, son futur mari (NR, 72) : « Lucien n'était pas mon ami, juste un laboratoire de haine » (NR, 82). La haine, cette forte passion, fait soupçonner entre les deux hommes une homosexualité mal surmontée. À sa manière, le narrateur le confirme : « en vieillissant, je plais aux hommes, je ne comprends pas pourquoi », remarque-t-il, dévisagé par un passager en partance pour Copenhague (NR, 121). Plus explicitement encore : Elle : Tu comptes vivre aux crochets de Lucien ? Moi : Je vivais bien aux tiens, p.176

Q. Suzanne-rappelle-À-son-mari-qu-'elle-est-sa-femme-et and L. , Je suis perdu, mais. Je meurs heureux Tu ne me survivras pas » (NR, 190) Dans Nuage rouge, l'homosexualité n'est qu'un symptôme ; elle est le signe conventionnel de l'immaturité affective. À un amour réel, celui de Suzanne, Silvère préfère les récits de Lucien (« Il m'en avait trop dit. Il m'avait beaucoup trop parlé d'elle, NR, 82), puis de Rebecca : « Non, dis-je, j'aimerais simplement qu'en dînant vous me racontiez votre passion pour votre amiral » (NR, 162) Le héros veut qu'on lui raconte des histoires ? au pire sens du mot. Il aime à se laisser intoxiquer par un romanesque « abracadabrantesque ». L'amour impossible est l'opium de la fiction, Porté par des personnages qui ne vivent que de chimères, le langage dans Nuage rouge ne peut être qu'une pauvre imposture dont le discrédit entraîne la littérature tout entière : Comme si la puissance du langage était une puissance suffisante. Mais pourquoi pas ? Après tout pourquoi pas ? Que faisons d'autre, nous autres, vous et moi, vous qui me lisez pendant que moi j'écris tout ça, sinon croire que ça suffira ? (NR, p.49

. Un-unique-présent-enveloppe-narrateur-et-narrataire-dans-la-même-jobardise, Celle-ci consiste à faire semblant, à « croire » que le néant du langage revêt quelque valeur. Or la parole est méprisable car tout ce qui importe lui échappe : J'ai lu quelque part cette définition de la tristesse : La vraie tristesse, disait celui qui l'a écrite, c'est quand on n'a plus rien à dire, ou plus rien à ajouter, quand on a épuisé, disaitil , toutes ses ressources de langage, p.55

. Au-malheur-de, inexprimable : la topique moderniste valorise le sujet dont elle traite ? « la vraie tristesse » ? en le plaçant hors de la sphère du langage. Celui-ci doit se contenter des pauvres dépouilles d'un réel qui, dès lors qu'il n'est pas inaccessible, se révèle décevant : « Tous les peuples se disent les mêmes choses. Ils se racontent les mêmes histoires. La mienne, la leur, c'est la même. À quoi bon nous traduire ?

«. À-quoi-bon and ». , Cet « à quoi bon » obsède le narrateur : -[?] et je ne sais pas pourquoi je raconte tout ça [?] (NR, 46) -Qu'est-ce qu'on jouait ce soir-là ? On s'en moque. Je vais quand même me répondre. (NR, 69) -À propos d'une chambre d'hôtel : « [?] mais tout ça n'a aucun intérêt, j'en suis d'ailleurs sorti très vite

«. On-sait-lire, ». , and M. , Semblable à la présentatrice que le texte congédie prestement, la littérature décrit une réalité qui se laisse fort bien déchiffrer sans elle Dans Nuage rouge, la parole ne peut être que vide ou mensongère. Quand, par aventure, elle exprime la vérité, le fait est si exceptionnel qu'elle déclenche une catastrophe : la mère de Lucien meurt dès qu'elle apprend ce qui est arrivé à son fils (NR, 57) Le discours se nourrit du mensonge, et paradoxalement, c'est ce qui lui

. Je-dis-Ça-parce-que, quand je suis rentré de Copenhague, j'étais si triste, Suzanne me demandait pourquoi et moi je n'étais pas capable d'inventer un mensonge cohérent, pp.57-58

«. Je-rayai-le-mot, ». Le-remplaçai-par-le-mot-exactitude, and . Dans-ma-tête,-bien-sûr, et comme il me fallait d'urgence une conclusion, je hasardai : La vérité, au contraire de l'exactitude, ne laisse pas d'être vérifiée. Pas mal pensai-je. [?] J'eus alors envie de me dire que la vérité ne consistait que dans le plaisir, p.100

. Le-texte-a-si-peu, La vérité ne vaut d'ailleurs que par son équivalence avec le mensonge Répudiée au profit de l'exactitude ? c'est-à-dire d'une pure factualité ? elle finit par se dissoudre dans « le plaisir ». Tel est bien le maître mot de cette littérature : le narrateur, qui est aussi écrivain, estime en effet qu'il n'existe « qu'un temps, le temps littéraire » (NR, 66), et il confie à ce dernier la mémoire nostalgique des petits enchantements vécus : « Tout ce qu'il aimait n'existe plus

. Rien-n-'est-donc-moins-ambitieux-que-cette-esthétique-hédoniste.-À-la-faillite-du-langage, le texte se résigne ; la vérité et le réel sont hors de sa portée Aussi est-ce seulement dans les marges du texte, dans la digression, que se fait entendre la seule parole qui importe : celle qui confie le malheur d'être soldat en Algérie (NR 16 Voulant évoquer la situation de Lucien, castré et gonflé de désir, le narrateur évoque « le cas tragique de Joé Bousquet » (NR, 155) La mère, la guerre d'Algérie, Joé Bousquet : le texte ne peut s'empêcher de se référer à ces « cas tragiques » comme à des idéaux inaccessibles dont la mention fugitive ne fait qu'accuser l'inconsistance d'une fiction décidée de s'en tenir à l'inessentiel 5 Que reste-t-il