Le cirque Modiano
Résumé
Dans l'univers de Modiano, traqueurs et traqués se rencontrent, s'affrontent, et semblent même un instant se confondre ; car tous cherchent la vérité. Le traqueur ne pourra jamais venir à bout de la vérité ultime – c'est-à-dire intime – du traqué ; quand bien même il finit par avoir sa peau, quelque chose de plus précieux que la peau lui échappe : l'âme, l'âme de Dora Bruder par exemple, réalité insaisissable qu'on ne peut pas plus nier que définir. Quant au traqué, il sent son âme qui tremble ou vibre, sous les modalités infiniment diverses de la peur ou de la joie, brève et intense. Mais ce qui manque au traqué, c'est justement ce que veut lui arracher l'enquêteur : une identité (un nom, un âge, une adresse, une patrie), au nom de laquelle on peut arrêter, condamner et parfois déporter les individus indésirables. Vaporiser le petit faisceau de vérités factuelles qui constituent une identité (au sens le plus policier du terme) est à la fois l'arme et le tourment des faibles. La honte ronge celui qui craint toujours de voir sur lui la vérité s'abattre comme un Jugement. Écrite du point de vue des traqués, des faibles, des incertains, la fiction de Modiano dissout la vérité factuelle, la rend cotonneuse, inopérante et d'autant plus désirable. Malgré tous les dispositifs romanesques (l'écriture de l'indéfini, la pratique de la fuite, le déport analogique) qui tendent à protéger les héros, ceux-ci sont toujours rattrapés par une fatalité qui remet le bonheur à demain. C'est à ce devenir qui piétine, à cet éternel retour de la tristesse, qu'on peut donner le joli nom de cirque. Le cirque, c'est le cercle mélancolique qui semble renfermer, malgré les diaprures éphémères de l'existence, l'assignation du sujet à un malheur qui le dépasse.
Domaines
Littératures
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)
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