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Chapitre D'ouvrage Année : 2003

Coder les données

Résumé

Le codage consiste à découper les données (observation directe, discours, textes, images) en unités d'analyse, à définir les catégories qui vont les accueillir, puis à placer (ranger ou catégoriser) les unités dans ces catégories (Grawitz, 1996). Il s’agit d’une des voies possibles par lesquelles le chercheur transforme le monde empirique, brut et désordonné de l’expérience, en un monde organisé d’idées et de concepts, passant ainsi du monde « des sens » au monde « du sens ». Les opérations de codage et de catégorisation sont de fait intrinsèquement liées à l’activité scientifique, même si la notion de mesure les a quelque peu aujourd’hui supplantées dans notre vision des sciences. Ainsi, rappelle Grawitz (1996 : 368) : « Une des premières étapes du développement des sciences naturelles à consisté à classer les animaux, les plantes, en genre, type ou espèce, en fonction de leurs caractéristiques », et ce, en vue d’atteindre un certain niveau d’abstraction. Les sciences sociales se devaient, elles aussi, de « mettre un ordre sur leur monde ». Le développement de la pédagogie, de la psychologie, de la psychiatrie, de la démographie au XVIIIème siècle s’accompagne ainsi, nous montre Foucault (1977), de l’élaboration de classifications des comportements sociaux et sexuels, permettant et la définition de normes et la mesure d’écarts, l’évaluation et la détermination de particularismes. Ces classifications autorisent parallèlement l’organisation et la systématisation de l’observation. Initialement développées en laboratoire par les psychologues, les méthodes d’observation et de classification systématique des comportements sont transposées « à la vraie vie » à partir de 1933. Cette transposition, que l’on doit notamment à Lewin et ses collègues (1939), et à Whyte (1943), s’accompagnent d’un perfectionnement de ces méthodes : les observateurs ne seront plus cantonnés à un enregistrement de comportements physiques simples (pousser, tirer, toucher etc.), mais devront interpréter et classer les comportements dans des catégories en fonction de leur signification (comportements agressifs, non-agressifs par exemple) de manière aussi systématique et précise que possible. Il s’agit dès lors de définir précisément ce que l’on retient comme « segment de conduite », de prévoir les catégories susceptibles de les accueillir (comportements agressifs, comportements « objectifs »), et les manifestations que l’on va utiliser pour classer les différentes unités d’analyse dans ces catégories (qu’est-ce qu’un comportement agressif ?). Dès leurs origines, les opérations de « découpage » des observations et de définitions des catégories, en tant qu’opérations clés de l’activité scientifique, sont marquées par la même exigence et la même rigueur. La formation du chercheur et sa connaissance du contexte, souligne ici Lewin (1943-44, 1997 : 281), jouent un rôle essentiel : elles permettent d'obtenir des observations valides, là où la personne non formée ne donnera qu'interprétation ou approximation, et de classer correctement ces observations collectées. La mise en œuvre effective de ces principes s’avère néanmoins particulièrement épineuse en sciences sociales. On invoque ici souvent le caractère fluide, continu ou fragmenté des « données » que nous codons : où commence et où s’arrête un « segment de conduite » ? Ces unités portent-elles une signification particulière ou peuvent-elles être classées simultanément dans plusieurs catégories ? Ces difficultés ayant trait à la nature même des données (observation, texte, discours), qui ne se confondent que rarement avec une unité « physique » particulière (un mot, une phrase, une unité de temps définie), ne sauraient certes être négligées. Il convient néanmoins de relativiser l’importance de tels facteurs en envisageant la manière dont, naturellement, nous faisons sens. Considérons un enfant qui apprend à parler. Il doit, pour ce faire, effectuer des opérations similaires à celles du chercheur en sciences sociales lorsqu’il code ses données : découper le flux de son expérience (des images, ses actions, celles des autres, des sensations) en unités, puis leur attribuer un mot, en d’autres termes les classer dans des catégories résumées par ce mot. Les imagiers, les jeux de loto qu’on utilise, reposent sur ces principes : montrer à l’enfant l’image (lui donner l’unité d’analyse), lui dire ce que c’est (lui donner la catégorie), puis lui demander ce que c’est (lui faire associer l’unité à la catégorie : ceci est une vache alors que ceci est un cochon). Dans ce processus néanmoins, à la différence des opérations de codage auxquelles on procède dans la recherche scientifique, jamais on ne décrit à l’enfant les propriétés de la catégorie : « Le cochon a un groin, il est rose, alors que la vache a des cornes et n’est pas rose ». On pressent que ceci n’aidera pas l’apprentissage, que l’enfant n’appréhende pas les choses à partir de leurs caractéristiques intrinsèques (le cochon a un groin, 4 pattes et il est rose par exemple), mais comme des tout, par les propriétés ou fonctions qu’elles démontrent et dont il a (ou non) l’expérience : cela est doux, cela ne l’est pas, ceci est pareil, différent de cela, ceci appartient, n’appartient pas à cela, etc. De manière naturelle, comme le petit enfant, nous ne percevons pas un phénomène ou une chose en fonction des caractéristiques qu’il porte, mais comme un tout, à partir des relations spatiales et temporelles des éléments qui le compose, et dans le contexte dans lequel il prend place (Beauvois, 1994 : 105) : nous n'entendons pas une mélodie en distinguant chacune des notes qui la composent, mais en percevant les relations qui existent entre elles, de sorte que nous sommes capables de la reconnaître même si elle est jouée dans une tonalité, à un rythme ou avec des instruments différents. A chacune de ses étapes, le processus de codage paraît ainsi toujours marqué par une double exigence dont les termes sont difficiles à satisfaire conjointement : - une exigence de scientificité, impliquant une définition précise des unités et des catégories qui les accueillent ( être capables de retranscrire les notes de musiques et leur rythme) - une exigence d’élaboration du sens, heuristique, qui passe non par une démarche analytique précise et systématique, mais par une « expérience » nous permettant d’établir des relations entre les choses (être capable d’« entendre » les relations d’une note à l’autre, les variations de rythme), traduisant notre façon « naturelle » d’être au monde. Ce chapitre aborde les différentes étapes du processus de codage : la définition des unités d’analyse (Section I), puis des catégories (Section II), en soulignant la nécessaire précision et rigueur dont elles doivent faire l’objet . Le processus d’élaboration des catégories enfin (Section III), plus que tout autre étape du processus de codage et par-delà les recettes et idéaux-types retenus par les méthodologues, traduit notre manière de faire sens du monde, pour in fine, relever d’une certaine forme (certes avancée et formalisée) de bricolage. Ces différents aspects sont illustrés au travers d’une recherche menée sur les dynamiques socio-cognitives à l’œuvre dans les groupes restreints dont l’encadré 2 présente les objectifs et le cadre général.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-01495063 , version 1 (24-03-2017)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01495063 , version 1

Citer

Florence Allard-Poesi. Coder les données . Y. Giordano. Conduire un projet de recherche, une perspective qualitative, EMS, pp.245-290, 2003. ⟨hal-01495063⟩
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