« Du réseau à la pyramide ? Le Brexit comme laboratoire de la renationalisation des droits » - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue L’Observatoire du Brexit Année : 2017

« Du réseau à la pyramide ? Le Brexit comme laboratoire de la renationalisation des droits »

Résumé

Aujourd’hui, on évoque sérieusement la « fin de la mondialisation » . Cela concerne-t-il y compris la mondialisation du droit ? Possiblement puisque le droit a vocation à accompagner les sociétés, les économies et les cultures. Peut-être même se développe-t-il un étonnant « droit de la démondialisation ». Une renationalisation des droits serait à l’œuvre, suivant les mouvements identitaires et nationalistes qui prospèrent notamment en Europe. Le Brexit, dès lors, pourrait s’analyser en tant qu’élément paroxystique de ces changements interrogeant tout particulièrement la pensée du droit. L’Union européenne est une construction politique et juridique. Les conséquences du Brexit sont ainsi déjà politiques et juridiques. Et, si l’Union européenne a été plusieurs fois qualifiée de « laboratoire du droit global » , la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne pourrait se comprendre en tant que laboratoire de la renationalisation des droits. Depuis une trentaine d’années, un nombre croissant d’auteurs ont entrepris d’étudier le droit hors de l’État. Peut-être cette évolution a-t-elle atteint son point culminant et l’heure est-elle au retour de l’État-nation au centre du jeu juridique ? Le 11 septembre 2001 aurait constitué un premier moment fondateur de la reprise en mains du droit par les États . Le Brexit en serait un autre. Il serait l’indice, si ce n’est la preuve, de la volonté des nations de ne plus abandonner le soin de créer et d’appliquer le droit à des acteurs supérieurs (interétatiques) ou parallèles (paraétatiques). Le Brexit montre à quel point les États-nations ne seraient pas morts pour cause de mondialisation. Par suite, le droit moderne, rigoureusement attaché aux États, ne serait pas davantage mort pour cause de mondialisation du droit. Si l’on a pu, à bon droit, imaginer que le lien entre droit et État aurait été sensiblement atténué par les institutions globalisantes telles que l’Union européenne, le Brexit invite donc à revoir cette position. Étant précisé que ce n’est que la nation qui décide de ces orientations, l’État étant un outil neutre en soi, sans volonté propre, au service de cette nation. L’Union européenne et son droit n’existent qu’en vertu des consentements des États membres et ils ont en permanence besoin du soutien des États-nations pour exister. L’Union n’en est pas moins, aujourd’hui, plus que la simple somme de ses parties. L’intégration et le droit dérivé qui sont sa marque lui permettent de dépasser le modèle interétatique du droit international public — même si le Conseil européen reste une institution interétatique classique au sein de laquelle chaque État défend ses intérêts propres. De la Commission européenne au Parlement européen, les organes de l’Union transcendent les considérations locales afin de donner lieu à un véritable gouvernement de l’Europe. Il en résulte une désétatisation du droit plus ou moins forte selon les prérogatives concédées par les États à ces institutions supranationales. Lorsqu’un État transpose une directive européenne, il semble qu’il dispose encore de la puissance exécutive, mais non plus de la puissance législative. Or la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, avec les autres mouvements nationalistes que connaissent l’Europe et le monde — par exemple, aux États-Unis, l’élection du candidat républicain à la Maison Blanche —, montre combien il faut relativiser la « désétatisation des sociétés » et, par conséquent, du droit. Elle oblige à se montrer quelque peu réservé face aux thèses selon lesquelles « la mondialisation rédui[rait] l’État au rôle peu glorieux d’infirmerie nationale » et rendrait l’action étatique « foncièrement inadaptée » et même « dérisoire » ou « aléatoire » . Si les réflexions sur le droit ont tendance à se désétatiser, le Brexit indique que cette tendance est peut-être appelée à se renverser. Les tenants du droit global jugent qu’il faudrait « réévaluer les principes, les concepts et les outils du droit moderne, […] qui montrent chaque jour davantage les limites de leur pertinence et de leur efficacité à capturer leur objet et à le faire comprendre » , ce qui implique de s’émanciper de l’étatisme dans lequel, au XXe siècle, la pensée juridique a baigné. L’heure est peut-être à la relativisation de ces conceptions du droit et positionnements à l’égard du droit qui entendent rompre largement avec le stato-centrisme moderne. Si les États cherchent à se repositionner au cœur de la mécanique juridique, la pensée juridique ne peut qu’en tirer toutes les conséquences. Or le droit du XXIe siècle ne sera peut-être pas si différent de celui du XXe siècle qu’on a pu le penser à l’aune du « juriglobisme » des années 2000, à l’aune de cette « nouvelle mentalité des juristes » rompant avec l’idée que l’État serait l’acteur principal du grand film du droit, la médiation étatique n’étant plus indispensable à la juridicité . « Si le droit moderne était étatique, écrit-on au passé, le droit postmoderne ne peut se concevoir que dans une perspective cosmopolitique » . Pourtant, ainsi qu’en témoigne le Brexit, les sociétés qui constellent le monde et même les sociétés qui constellent l’Europe ne semblent pas prêtes à se fondre dans une société cosmopolitique. Il faut donc gager que ce n’est ni aujourd’hui ni demain que les droits qui constellent le monde juridique se fonderont dans un droit cosmopolitique universel. Les États nationaux ne semblent pas prêts à s’effacer au profit d’un État mondial. Le système étatique, qui, après le XVIIIe s., a trouvé à la fois son unité et sa logique, paraît devoir longtemps conserver un rôle à jouer ; et cela en premier lieu dans le domaine juridique. Reste que le droit ne saurait être ni tout étatique ni tout a-étatique. Ce ne sont que des mouvements, que des tendances qui sont ici en cause. Il s’agit de montrer combien le Brexit amène à relativiser les thèses du passage de droits nationaux à un droit global (I), du passage d’un droit pyramidal à un droit en réseau (II) et du passage d’une pensée juridique moderne à une pensée juridique postmoderne (III). Loin de tout manichéisme, le Brexit est seulement le signe que la culture politico-juridique du passé résiste et pourrait bien empreindre dans une plus grande mesure que ce que l’on a pu imaginer la culture politico-juridique du futur. D’aucuns opèrent le constat de la crise, du déclin, des blocages ou encore des malaises de la théorie et des sciences du droit contemporaines, qui peineraient à suivre et à rendre compte efficacement de leur objet. Peut-être cet objet-droit est-il voué à renouer avec ses caractères d’antan, ce qui profiterait à cette théorie et à ces sciences du droit — à condition qu’elles opèrent néanmoins quelques ajustements. Elles pourraient devoir demain étudier non un système juridique global, mais des systèmes juridiques nationaux, comme au XXe siècle Il y a peu, le trinôme droit global-droit postmoderne-droit en réseau paraissait encore pouvoir s’affirmer sur des bases solides. Le Brexit, en tant qu’étape initiale de la « déconstruction européenne », est peut-être l’étape initiale de la « déglobalisation juridique ».
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-01487253 , version 1 (11-03-2017)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01487253 , version 1

Citer

Boris Barraud. « Du réseau à la pyramide ? Le Brexit comme laboratoire de la renationalisation des droits ». L’Observatoire du Brexit, 2017. ⟨hal-01487253⟩

Collections

UNIV-AMU
139 Consultations
0 Téléchargements

Partager

Gmail Facebook X LinkedIn More