Variations, représentations et impact sociolinguistiques des dictionnaires : la lexicographie “identitaire"
Résumé
Loin de n'être que des « outils » aux fonctions restreintes, les dictionnaires (et à une moindre échelle les lexiques et glossaires) remplissent différentes fonctions, allant jusqu'à se charger de valeurs identitaires ; cependant, le « contenu » de cette identité peut prendre plusieurs formes, y compris au sein d'une communauté linguistique supposée homogène : c'est ce que souhaite démontrer cet article. Depuis la fin des années 1980, le développement culturel de Marseille s'est accompagné d'un réinvestissement affectif et identitaire du « parler marseillais » (c'est-à-dire le français régional de Marseille, notion qui sera discutée), à travers une abondante production littéraire, musicale, cinématographique, humoristique, mais aussi dictionnairique. En effet, on recense près d'une trentaine de lexiques, glossaires ou dictionnaires « du parler marseillais » entre 1985 et 2009, avec une croissance exponentielle (15 depuis 2000). Un véritable phénomène éditorial et économique à l'échelle locale puisque ces ouvrages rencontrent un succès remarquable auprès du grand public ; on trouve même des rayons dédiés à cette production dans certaines librairies. Cependant, loin de tous refléter de manière simple et consensuelle une variété régionale de français, ces dictionnaires se distinguent par des variations très significatives : de la couverture à la micro-structure, en passant par les avant-propos, la liste des items et les « registres » proposés, chacun propose une représentation singulière du parler marseillais, associée à une représentation sociolinguistique du français parlé à Marseille, et les enjeux sociaux qui les sous-tendent. De plus, ces ouvrages ne manquent pas d'avoir une certaine influence sur les représentations des Marseillais et Provençaux, un impact sociolinguistique sur les normes, l'insécurité linguistique et l'identité locales. Dans cet article, je présente une analyse comparative, quantitative et qualitative du corpus en réfléchissant aux notions de lexicographie identitaire et d'impact sociolinguistique des dictionnaires.