The Sunni Tragedy in the Middle East - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Ouvrages Année : 2015

The Sunni Tragedy in the Middle East

Résumé

Il s’agit de la version mise à jour et augmentée d’un ouvrage d’abord paru en français sous le titre l’Oumma en fragments (PUF, 2011). La version française résultait elle-même d’un travail de terrain conduit dans la ville de Tripoli au Nord-Liban entre 2006 et 2011 en vue de l’obtention de l’Habilitation à diriger les recherches (HDR). L’ouvrage combine immersion empirique et montée en généralité théorique Il se propose de penser les engagements militants dans l’espace du Shâm – Liban, Syrie, Palestine – à partir d’une distinction idéale-typique entre trois figures d’engagement politique et religieux : – le « Résistant » (muqâwim), le « Combattant du jihad» (mujâhid) et le « Combattant » (muqâtil). Le « Résistant » se réclame d’un islam révolutionnaire d’inspiration « khomeyniste ». Il s’appuie sur un système régional étatique et para-étatique (Téhéran, Bagdad, Damas, Beyrouth) pour étendre son influence au nom de la victoire sur « l’impérialisme américain et son allié israélien ». Le « Combattant du jihad » privilégie la lutte contre l’Occident et les régimes arabes, considérés comme des relais d’influence du premier dans la région. Ces deux figures concurrentes se sont constituées à peu près à la même période : le « Résistant » est un produit de la révolution de 1979 en Iran, tandis que le « Combattant du jihad » est le produit de la guérilla engagée contre l’armée russe en Afghanistan après l’invasion du pays par Moscou la même année. Enfin, le simple « Combattant » est type-idéal plus ancien. Son objectif est essentiellement défensif. Il veut protéger sa famille, son quartier ou son village contre une invasion étrangère – qu’elle que soit l’identité de l’agresseur. A priori, il n’est pas solidaire d’un Grand Récit idéologique et ne cherche pas à militer dans un système de pouvoir régional. Ces figures ne prétendaient pas rendre compte avec exhaustivité de la réalité empirique d’un terrain moyen-oriental beaucoup plus complexe, ni enfermer les acteurs dans une seule forme d’engagement. Sur le plan diachronique, individu et groupe pouvaient passer d’une figure à une autre. Sur le plan synchronique, une organisation pouvait faire cohabiter plusieurs figures. Ces catégories avaient une ambition plus modeste : fournir des instruments de lecture pour appréhender la diversité empirique. Formulée avant le déclenchement en 2011 de la guerre en Syrie, la distinction éclaire en partie les types de rationalités idéologiques qui se sont affrontées sur le terrain syrien depuis la fin de l’année 2012 en Syrie : Jubhat al-Nusrat et l’Etat Islamique pour la figure du « Combattant du Jihad », l’Armée syrienne libre pour celle du « Combattant », le Hezbollah et son allié iranien pour celui du « Résistant » (dans le sens spécifique accordé à ce terme). Enrichie d’une centaine de pages, la version anglaise insistait sur les raisons pour lesquelles les dirigeants sunnites au Moyen-Orient se sont trouvés exposés, dès les années 1990, à une crise de légitimité particulièrement grave, au point de rendre « tragique » leur situation politique. Pour illustrer cette difficulté, on a transposé dans l’Orient arabe les interrogations théoriques de John Dewey sur les conditions de la constitution d’un « public ». L’expression désigne chez le philosophe américain les moyens mis en œuvre par les individus (la procédure dite de « l’enquête ») pour localiser des intérêts collectifs et définir une identité commune face à un ensemble de menaces. Dans le contexte libanais, parler d’un « public » constitué par les mécanismes de l’ « enquête » était particulièrement adapté, car l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafiq al-Hariri en 2004 avait déclenché une procédure d’enquête internationale dont la fonction latente – solidariser la communauté sunnite autour du fils du « martyr » – était au moins aussi importante que la fonction manifeste – identifier et traduire en justice les responsables de l’assassinat. Pour la première fois de leur histoire politique, les sunnites libanais – dépositaires du nationalisme arabe dans les années 1950, champions de la cause palestinienne à la fin des années 1960 et au début des années 1970 –, étaient appelés, dans les années 2000, à lutter contre le régime des Assad et à lier leur avenir politique à celui des progrès de la « communauté internationale » (Etats-Unis, France, ONU) dans la mise en accusation des dirigeants syriens. Cette situation était inédite dans l’espace syro-libano soumis à la gouvernance autoritaire de la famille Assad depuis le début des années 1970. En Syrie, les plus pauvres avaient perdu l’accès au patronage d’Etat dans les années 1990, en raison de la crise des finances publiques. A la même période, le passage au « crony capitalism » a creusé les écarts sociaux dans la société. Les quartiers pauvres des grandes villes sunnites ont alors vu l’apparition de réseaux religieux divers, certains ouvertement jihadistes. Ces « publics religieux » se sont constitués au moyen de nouvelles procédures d’enquête (cours dans les instituts salafistes, accès aux sites jihadistes sur Internet). Le « paradigme Aïn el-Héloué » se reproduisait ainsi de manière plus diffuse dans les banlieues de Damas, Alep ou Homs. Le phénomène était surveillé mais toléré par le régime, car celui-ci voulait alimenter les rangs d’une guérilla jihadiste et sunnite contre l’armée américaine en Irak après 2003. C’est la tension entre ces deux expressions – la mobilisation des sunnites libanais en faveur d’un dirigeant pro-occidental et l’activisme des réseaux salafistes – qui a été étudiée dans la ville de Tripoli au Nord-Liban. Le choix de cette ville se justifiait à un double titre. Son contrôle par Hariri était indispensable pour affirmer un leadership communautaire (la région est majoritairement sunnite). La ville était aussi une capitale régionale du salafisme depuis les années 1990, connectée à de nombreux réseaux transnationaux. Cette situation éclaire une dimension tragique du sunnisme : si Hariri s’appuie sur le milieu salafiste (même ses franges non jihadistes), il fragilise son alliance occidentale et le soutien que lui apporte une bourgeoisie séculière. S’il ne le fait pas, il s’expose à l’accusation de mécréance par des milieux religieux très implantés chez les urban poor et une partie de la petite bourgeoisie. Tripoli était ainsi l’analyseur d’une contradiction structurelle dans tout l’Orient arabe : l’ambivalence de l’islamisme selon le milieu de réception – déstructurant en milieu sunnite, structurant en milieu chiite. Dans le premier cas, l’idéologie religieuse détruit la légitimité des élites civiles qui « ne gouvernement pas selon la Loi de Dieu ». Dans le second cas, elle structure une cohésion confessionnelle autour d’un nouveau leadership politique (Hezbollah au Liban, milices chiites en Irak après 2003). La contradiction entre sunnisme communautaire (celui des élites politiques) et sunnisme religieux (celui des cheikhs salafistes) a été exploitée par le régime syrien chaque fois que les sunnites libanais ont cherché à échapper à son emprise. En 2006, le régime syrien a ainsi facilité l’introduction à Tripoli de partisans de l’organisation jihadiste de Zarqawi – matrice du futur Etat islamique en Irak – pour inoculer le virus jihadiste au cœur de la mobilisation anti-Assad. La même technique sera utilisée avec les sunnites syriens en 2012. Après une expérience autoritaire longue de plusieurs décennies, il était extrêmement difficile de constituer un « public démocratique », dans un environnement international caractérisé par la mobilité croissante des échanges et une vitesse toujours plus grande des communications. L’existence de nouvelles capacités de connexion, la création de communautés virtuelles au-delà des frontières étatiques ainsi que l’augmentation de l’intelligence collective, entendue au sens d’une meilleure coordination des ressources entre différents sites, transforment en profondeur les conditions de constitution d’un public.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-01478859 , version 1 (28-02-2017)

Identifiants

Citer

Bernard Rougier. The Sunni Tragedy in the Middle East: Northern Lebanon from al-Qaeda to ISIS. Princeton University Press. Princeton University Press, 2015, Princeton Studies in Muslim Politics, Fred Apple, 9780691170015. ⟨10.978.06911/70015⟩. ⟨hal-01478859⟩
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