Flamenco et Tradition ? Une analyse technico-esthétique
Résumé
Le Flamenco, genre musical et chorégraphique tour à tour symbole de l'Espagne, de l'Andalousie ou du peuple Gitan, est un carrefour de revendications identitaires, où les traditionalistes ignorent consciencieusement toutes les investigations historiques et anthropologiques. La question de la "tradition" est ici plurielle puisque sont érigées plusieurs traditions. Les tenants et supposés dépositaires de celles-ci se veulent tous les garants d'une vérité, celle de La tradition légitime. Parallèlement, les débats autour de la question d'une Danse Flamenca1 traditionnelle et de la pureza (pureté), se sont aujourd'hui intensifiés face à la mutation portée par l'avant-garde contemporaine et son succès international, notamment à travers les figures d'Israel Galván et de Rocio Molina. Les défenseurs des traditions s'opposent au Flamenco contemporain, sans pour autant proposer de définition homogène et consensuelle, et ce malgré la reconnaissance se voulant unitaire de l'UNESCO. Ce double conflit fait émerger deux interrogations simples et pourtant cruciales : Que peut-on entendre par Flamenco traditionnel ? Existe-t-il seulement ?
Afin de décrire et définir les styles historiques de la danse flamenca, tant dans ses dimensions percussive que gestuelle, notre étude s'est attachée à analyser, pour trente danseurs et danseuses solistes et dix troupes, la mobilisation des différentes parties du corps, la relation du mouvement et de la production percussive à la musique, ainsi que l'Effort et les Formes (Shape categories) convoquées. Cette analyse, à l'aune des théories du mouvement - observation anatomique et théories de Laban (2007, 2003, 2003)2 - a permis de mettre en lumière la variété et la variabilité des qualités de mouvements, et de définir, au-delà des généricités de la danse flamenca, des styles contrastés. Loin d'être de simples expressions techniques, ces spécificités sont à considérer selon un questionnement esthétique, nous situant dans la définition du style proposé par Louppe (2000)3, c'est-à-dire en tant que signature corporelle faite de préférences prenant leur source dans l'histoire d'un groupe. Il s'agit pour nous de rendre compte de la complexité de phénomènes de rencontres musicales et chorégraphiques, dénotant des constructions historiques qui apparaissent en décalage avec les catégorisations des diverses perspectives "traditionnelles".