Caducité ou irrévocabilité de la première Alliance dans le Nouveau Testament? - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Istina Année : 1996

Caducité ou irrévocabilité de la première Alliance dans le Nouveau Testament?

Menahem R. Macina

Résumé

L'existence d'une certaine forme d'antijudaïsme, dès les origines chrétiennes, est clairement perceptible dans les textes même du Nouveau Testament et n'est plus guère contestée aujourd'hui, même si les appréciations la concernant varient notablement d'un chercheur à l'autre. Cette polémique antijuive a fait l'objet d'un nombre non négligeable d'études. Mais le problème le plus aigu est celui de l'usage ultérieur et contemporain des motifs antijudaïques présents dans le Nouveau Testament. Une bonne part de l’étude de l’auteur est consacrée à l'examen d'une réaction catholique à un passage de l'allocution adressée par le pape Jean-Paul II aux dirigeants des communautés juives d'Allemagne (Mayence, 17 novembre 1980). Parlant du peuple juif et à des juifs, le Souverain pontife y évoque le «peuple de Dieu de l'ancienne Alliance, qui n'a jamais été révoquée par Dieu». L’auteur fait remarquer n'y a pas à s'étonner qu'une déclaration papale, surtout en une matière aussi sensible, soit examinée par les spécialistes et “pesée” conformément aux règles traditionnelles qui président à l'appréciation des documents pontificaux. Mais, souligne-t-il, la tâche du théologien catholique n'est pas de “juger” l'enseignement de l'Église, mais plutôt d'expliquer aux fidèles la pertinence de toute formulation sortant de l'ordinaire, telle que celle qui vient d'être évoquée, et d'en démontrer la cohérence avec la Tradition et le sensus fidei de l'Église. Il arrive cependant qu'une déclaration émanant d'un membre important de la hiérarchie ecclésiale ait un caractère si novateur, que certains théologiens, à tort ou à raison, croient nécessaire d'attirer l'attention de cette même hiérarchie sur les déviations auxquelles, selon eux, peut donner lieu ladite déclaration. Ils se sentent d'ailleurs d'autant plus fondés à ce faire lorsque le texte qu'ils examinent n'a fait l'objet ni d'une approbation conciliaire, ni d'une définition solennelle de l'Église impliquant, directement ou indirectement, le privilège de l'infaillibilité. Mais avant d'examiner ce point, précise l’auteur, il importe d'avoir conscience de la rupture totale avec la tradition antijudaïque multiséculaire que constitue la reconsidération actuelle, par l'Église, de l'identité et de la spécificité du peuple juif, de son histoire, de sa foi et de son rôle dans les desseins de Dieu. Ce processus, initié lors du Concile Vatican II (Déclaration Nostra Aetate, § 4), n'a fait que se renforcer et s'approfondir au fil des ans dans les documents publiés depuis sur ce thème par les Églises, et en particulier par l'Église catholique. Pour mieux saisir le caractère quasi révolutionnaire de ce changement d'attitude, il n'est que de jeter un bref coup d'œil sur le texte conciliaire. Et de remarquer que l’on constate immédiatement que, contrairement à l'usage habituel dans les documents de cette nature, aucune référence n'est faite aux Pères, ni aux écrivains ecclésiastiques, ni à quelque document ecclésial antérieur que ce soit. Et ce, précise l’auteur, pour la simple raison que des textes aussi favorables, si tant est qu'ils existent, n'ont jamais fait partie de l'enseignement officiel de l'Église. Au contraire, tant l'histoire de cette dernière que l'enseignement des Pères et des écrivains ecclésiastiques, sans parler de la législation canonique, témoignent d'une apologétique militante et souvent agressive au service d'une «théorie de la substitution», qui fut la règle jusqu'au milieu du vingtième siècle. Or, cette absence d'appuis «traditionnels» fut intentionnelle. L’auteur rappelle que, jusqu'au tournant radical de Vatican II, on enseignait aux catholiques, dès l'âge du catéchisme, que l'Église était le «véritable Israël» (‘Verus Israel’) qui avait succédé aux juifs, et qu'elle avait bénéficié de l'élection et des promesses antérieurement réservées à ce peuple. La raison en était, leur expliquait-on, que, du fait de leur incrédulité et de leur entêtement coupables, les juifs avaient refusé d'admettre que leur Messie (Jésus) était réellement venu et qu'il avait fondé une nouvelle religion (le christianisme) spirituelle et universelle, sur les ruines de l'ancienne (le judaïsme), réputée formaliste et nationaliste. Et l’auteur de commenter qu’il serait aussi vain qu'inopportun de tenter de nier que cet enseignement apologétique et, selon l'expression employée au concile Vatican II, triomphaliste, s'est enraciné dans une tradition puissante et homogène, qui remonte aux premiers siècles de notre ère, et qui a retrouvé son expression, sa justification, ses lettres de créance et même sa “canonisation”, au fil d'une vaste littérature antijuive multiforme et multiséculaire. À la lumière de ce long passé négatif, insiste-t-il, il n'y a pas lieu d'être scandalisé de ce que le «nouveau regard» sur le peuple juif, préconisé par l'Église depuis plus de trois décennies, soit loin d'être largement et joyeusement accepté - si tant est même qu'il soit compris - tant par les fidèles que par tous les théologiens. Et il va sans dire que la nouvelle formulation papale, «l'ancienne Alliance qui n'a jamais été révoquée par Dieu», est précisément de celles auxquelles nul théologien ne peut rester indifférent. Et ce d'autant que, comme dit plus haut, cette affirmation n'a aucun statut prétendant à l'infaillibilité. Elle ne figure pas dans un document destiné à enseigner l'Église universelle, tel qu'une encyclique, par exemple. Elle n'exige même pas des fidèles, du moins à ce stade, ce qu'on appelle un «pieux assentiment». Selon la formule consacrée, le pape a parlé ici «en tant que théologien», et donc sans engager l'Église et encore moins son privilège d'inerrance. Par ailleurs, précise l’auteur, il convient de se souvenir que l'histoire de l'Église fournit des exemples éloquents de déclarations, voire de définitions (non dogmatiques) papales dont, par la suite, on a constaté le caractère hétérodoxe, et qu'il a fallu abandonner, ou amender. Toutefois, affirme-t-il, il ne fait guère de doute que cette déclaration papale n'est ni accidentelle ni innocente. Il semble même qu'elle ait eu pour but de stimuler et d'approfondir l'effort fait par «le saint Concile qui scrute le mystère de l'Église et se souvient du lien qui unit spirituellement le peuple du Nouveau Testament avec la lignée d'Abraham». En conséquence, comme c'est l'usage lorsqu'un pape engage, si l'on peut dire, toute l'Église par une déclaration publique en une matière qui n'a pas encore fait l'objet d'une définition dogmatique et qui a un rapport étroit avec la foi chrétienne, les théologiens sont fondés à réagir. En règle générale, on attend de ces spécialistes qu'ils corroborent les déclarations de la hiérarchie, et non qu'ils les infirment. Mais, fait remarquer l’auteur, contrairement à la situation qui a prévalu à certaines époques, les théologiens ont, spécialement depuis Vatican II, une large liberté de jugement, même quand ce dernier est critique et traduit un dissentiment plus ou moins accentué avec l'autorité religieuse, dans la mesure, toutefois, où il s'exprime avec discrétion et respect. Il n'est donc pas surprenant que la formule mentionnée plus haut («l'ancienne Alliance que Dieu n'a jamais révoquée») ait donné et donne sans doute encore lieu, dans l'avenir, à des réactions variées, dont certaines très critiques, voire discutables. L’auteur prévient que, dans le cadre de sa contribution qui ne peut embrasser tous les aspects, nombreux et complexes, des problèmes historiques et théologiques en cause, il se concentrera surtout sur l'examen de la réaction de l'exégète catholique Albert Vanhoye, qui remet sérieusement en question la déclaration papale évoquée, en l'opposant à une assertion, qu'il estime contraire, de l'Épître aux Hébreux.
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  • HAL Id : hal-01421409 , version 1

Citer

Menahem R. Macina. Caducité ou irrévocabilité de la première Alliance dans le Nouveau Testament? : A propos de la "formule de Mayence". Istina, 1996, La Paix est le nom de Dieu. Dixième anniversaire de la rencontre d'Assise, XLI (4), pp.347-399. ⟨hal-01421409⟩
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