Bure 2150 : Une fiction géographique ?
Résumé
Bure, commune du sud de la Meuse, et Saudron, en Haute-Marne, à 12 km du département des Vosges, accueillent, dans un espace à faible densité de population, le laboratoire national de recherches sur le stockage souterrain de déchets radioactifs à moyenne et haute activité et à vie longue (MA-HAVL). Cet équipement résulte de la loi Bataille de 1991 suivie du vote des Conseils généraux de Meuse et de Haute-Marne, officialisant fin 1993 leur candidature à l’accueil de cet équipement. La loi de 2006 sur la gestion des déchets radioactifs a par la suite validé le principe du stockage souterrain "réversible" (c'est-à-dire pendant la période d'exploitation qui durera un siècle). Les élus locaux, rassemblés derrière le GIP Meuse, profitent depuis de la manne de l’État (163 millions d’euros de 2007 à 2013). A l’issue d’un débat public organisé en 2013, l’Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA), gestionnaire du laboratoire, annonce en 2014 qu’elle remettra à l’État une proposition de plan directeur pour l’exploitation du stockage et à l’Autorité de Sûreté Nucléaire un dossier « d’options de sûreté » et « d’options techniques de récupérabilité » pour préparer l’instruction de la demande d’autorisation de création de CIGEO, infrastructure dédiée à cet entreposage. L’exploitation du site, si elle a lieu, débutera en 2025 et s’étendra sur un siècle. L’ANDRA se fixe pour objectif de « protéger, sur le long terme, l’homme et l’environnement de la dangerosité que présentent les déchets HA et MA-VL, leur durée de vie pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’années ». A l’horizon 2150, ce site, rempli de matières hautement radioactives, sera alors entré dans la phase de surveillance des « colis », les derniers ayant été livrés aux alentours de 2125. Aujourd’hui, tout est presque prêt pour que l’entreposage de ce que l’homme a produit de plus dangereux commence, et ce, en principe, en toute sécurité… Cependant, chacun sait depuis Victor Hugo que « les pires choses en général sont faites des meilleures qui ont mal tourné ». Notre posture de géographe consiste ici à imaginer à l’échéance d’un siècle les conséquences de la survenue d’une catastrophe majeure en relation avec cet équipement pour les espaces concernés, leurs populations, leurs économies, leurs devenirs. Un scénario du pire pour rétablir l’équilibre avec le scénario du risque totalement maîtrisé délivré par l’ANDRA, l’État et les collectivités locales associées à ce projet. Un scénario de fiction espérons-le, pour informer les populations et les décideurs que le diable se loge dans les détails et qu’un dysfonctionnement minime pourrait en l’occurrence avoir des conséquences catastrophiques et, pour ainsi dire, définitives. Un scénario pour inciter à envisager une dernière fois, d’éventuelles solutions alternatives à ce projet. Paul Valéry nous a appris que les civilisations sont mortelles, or si la durée de vie de ces dernières n'excède pas quelques milliers d’années, la demi-vie du plutonium 239 atteint quant à elle 24.000 ans. Nous le savons aussi… Or à cette échéance, les radioéléments enfouis conserveront une dangerosité considérable quand bien même ils auront été oubliés, et ce, quel que soit le scénario "scientifique", fut-il le plus rassurant ou farfelu, mis en place aujourd'hui pour prévenir une telle éventualité. L’imagination permet au moins de relativiser nos certitudes sécuritaires. Trop de géographes se sont compromis par leur suivisme ou leur passivité dans des projets d'aménagement utopiques qui ont parfois tourné à la catastrophe pour que l’on reproche à certains d’imaginer des avenirs sombres dans l’espoir d’alerter au moins leurs contemporains ou d’être démentis dans le futur ! Tel est également le sens de notre présente dystopie.
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