P. Toussaint-25, Philippe Toussaint ne se regardent pas en travers, comme deux inconnus qui se demanderaient ce qu'ils peuvent bien faire l'un avec l'autre. S'incarnant dans la quête d'un sujet inquiet qui aspire et qui apparemment parvient, au fil des oeuvres, à mieux vivre, la problématique de la vérité innerve l'oeuvre de Toussaint Il faut toutefois reconnaître que la voie frayée n'est pas entièrement originale puisque Frank Wagner est l'auteur d'une étude intitulée « Monsieur Jean-Philippe Toussaint et la notion de vérité (Pour une poétique perspectiviste 26 ) ». Entre l'analyse pionnière de Frank Wagner et la perspective qu'on adopte, l'accent se déplace quelque peu : Frank Wagner souligne la dimension subjective de cette vérité alors que nous sommes davantage sensibles au fait que, dès lors qu'elle se publie et s'offre en partage, la vérité subjectivement assumée par les héros narrateurs de Toussaint cesse d'être purement idiosyncrasique ; livrée à la communauté des lecteurs, elle se donne sinon comme une règle de vie ou un modèle exemplaire, du moins comme le fruit d'une expérience qu'il convient d'évaluer. Pour appréhender cette notion si labile de vérité et tâcher d'en établir la cohérence, ce qui est proprement le travail du critique littéraire, ce recueil se présente comme un polyptyque : les deux premières parties, composées chacune de quatre chapitres, aux procédés par lesquels prennent forme ces vérités que Toussaint donne explicitement comme des constructions, des élaborations, puisqu'elles ressortissent à une « vérité proche de l'invention ou jumelle du mensonge

«. La-partie-inaugurale-de-l-'ouvrage and . Survivre-À-la-mélancolie, exister ne va nullement de soi pour les personnages de Toussaint Les quatre premières études du recueil se vouent à la description de cette mélancolie aux multiples visages. La nature anxieuse d'un sujet acculé à la dépression ne périme-t-elle pas d'emblée tout espoir de dégager quelque vérité que ce soit ? La deuxième partie, « Se protéger, s'imposer : ressources et stratégies éthiques », montre que non. Les diverses facettes d'un art de vivre « à la Toussaint » y sont appréhendés : la conversation (où alternent le désir de couper court à toute intrusion menaçante et la volonté de maintenir le contact avec l'interlocuteur), l'oisiveté, la distraction ou le jeu sont autant de « figures » éthiques, de situations typiques où se dessine et s'éprouve une morale de la réticence. La réticence (de parler, d'agir, d'aimer, peut-être) ne signifie en effet pas l'impossibilité mais la difficulté de vivre avec autrui ; elle exige du « vis-à-vis » (qu'il s'agisse du partenaire féminin ou amical ou, une bonne dose de patience et de bienveillance. Cette éthique repose donc sur un déséquilibre présenté (non sans malice) comme harmonieux : de fait, la balance n'est pas tout à fait égale entre les héros de Toussaint, qui demandent à être ménagés des héros de Toussaint. C'est justement à l'intrigante question du charme que s'intéresse la troisième partie

«. Raconter, séduire : maîtrise et fantaisie narratives Deux mots résument, à en croire les auteurs des quatre chapitres qui composent cette partie, l'art de Toussaint : le premier, c'est bien sûr le mot d'humour ; les auteurs soulignent cet esprit à la fois léger et incisif avec 25

W. and «. Monsieur-jean-philippe, Toussaint et la notion de vérité (Pour une poétique perspectiviste), 2010.

«. Lequel-toussaint and . Revisite, des genres prestigieux comme l'autoportrait : or l'oeuvre de Toussaint n'est-elle pas un long autoportrait plus ou moins explicitement assumé ? Le second de ces mots décisifs, ce serait le nom rythme ; ce sens du rythme s'observe aussi bien au niveau macro-structural, dans la composition des épisodes qu'au niveau micro-structural, dans l'usage parcimonieux de vulgarités cataclysmiques, trouant le texte par de roboratives et quelque peu déstabilisantes déflagrations d'énergie langagière et affective. A-t-on perdu de vue la question de la vérité ? À l'évidence, non : l'humour ou la création d'un rythme reconnaissable ne sont pas seulement des techniques d'exposition du vrai ; ce sont en euxmêmes des manières de se situer avec justesse face à la vie. La quatrième partie, intitulée : « Créer des dispositifs : dépasser le jeu ? », élargit la problématique que la troisième partie restreignait à des questions de poétique narrative ou de style. Le mot dispositif intéresse l'esthétique de Toussaint : son ingéniosité, son sens bien connu du jeu, sont-ils l'expression d'une virtuosité gratuite ? Les auteurs qui interviennent dans cette section choisissent de répondre par la négative : chaque dispositif présente une tentative d'affronter, ou mieux, d'apprivoiser le temps, et par là-même de se réconcilier avec la finitude. Pour Toussaint, de fait, il n'est pas d'« après la finitude »? Et si c'était là justement l'un des points aveugles de cette oeuvre ? Cet accommodement avec ce qui limite et le savoir et l'agir humains peut être jugé, somme toute, bien complaisant. Le polyptyque que nous présentons ne serait pas pleinement polyphonique ? ni même critique ? s'il ne faisait droit aux réticences que suscitent ces textes éminemment en prise avec leur époque. La condition de possibilité de l'oeuvre de Toussaint tient à son parti pris quasi exclusif pour la vie intérieure de ses héros. Exclusif, et peut-être exorbitant? en ce qu'il limite singulièrement la vaste perspective d'un réalisme qui se voudrait volontiers mondialisé et n'en a souvent que l'apparence. La prédilection assumée pour le virtuel