La chronique enluminée d'Ivan le Terrible (1568-1576): études et perspectives
Résumé
La Chronique enluminée (Licevoj letopisnyj svod, 1568-1576) est un hybride étrange entre modernisme et passéisme. Elle est la plus monumentale jamais entreprise jusqu’alors en Russie,par le volume du texte et par le parti pris d’illustrer chaque page ou presque. Elle combine la tradition des chronographes, ou abrégés d’histoire universelle, et celle des annales russes et se donne pour mission de narrer l’histoire du monde depuis la création jusqu’au règne d’Ivan le Terrible. Novatrice dans son gigantisme et sa minutie. Elle est en revanche conservatrice dans sa méthode, puisqu’elle abandonne l’histoire par règnes (expérimentée pour la première fois dans les années 1556-1563, avec le Livre des degrés de la généalogie impériale) pour revenir à la chronologie annuelle. Mais surtout, elle se distingue par le parti pris d'illustrer par des enluminures presque chaque page du manuscrit, fournissant un corpus iconographique unique. L’expérience, interrompue brutalement en 1576, éclaire l’hésitation entre un désir de représenter de manière précise, identifiable et rapide le monde contemporain, à l’instar de ce qui se pratique déjà en Occident, et une pudeur traditionnelle vis-à-vis du vivant et du concret. À la floraison d’images, encore très marquées malgré tout par les canons orthodoxes, que l'on observe dans les années 1570-1590, succède une période de latence qui, sans doute, n’est pas seulement due aux troubles politiques que connaît l’Empire russe, mais aussi à un certain repli. Les premières « icônes-portraits » qui voient ensuite le jour, vers 1630, peignent des personnages récents, mais
défunts, comme Ivan le Terrible († 1584), son fils Fedor († 1598), ou le prince Skopin-Šujskij († 1610)34. L’imagerie officielle continue d’être rétrospective dans les exemplaires du « Livre des titres » (Tituljarnik) enluminés dans les années 1672-1679, ou avec les portraits posthumes du tsar Aleksej Mixajlovič († 1676), ou de son fils Fedor Alekseevič († 1682). Il faut attendre le voyage de Pierre le Grand à Londres (1698) pour qu’il se fasse peindre sur le vif, mais cette première image restera dans les collections britanniques.