Style et sociabilité
Résumé
Style et sociabilité
Montesquieu en son temps, qui n’était pas le dernier à aimer plaire en société, bosse dans ses Lettres persanes un tableau satirique de la sociabilité à la française. Sous la plume faussement naïve de Rica, il nous dit que l’homme est un animal sociable, et que sur ce pied-là, les Français lui paraissent plus hommes que d’autres. L’homme par excellence !
Sans commenter l’extrapolation aventureuse, ni m’engager dans une étude anthropologique que je n’ai pas les moyens d’étayer, je constate que dans l’imaginaire des nations, la nôtre reste une référence en matière d’art de vivre, sous les auspices d’une valeur appelée style. Un titre comme celui de J. De Jean en témoigne de façon significative : Du Style. Comment les Français ont inventé la haute couture, la grande cuisine, les cafés chic, le raffinement et l’élégance (paris, Grasset, 2006).
L’affinité entre vie sociale et goût du raffinement n’a rien de bien mystérieux. Le désir de plaire déclenche la recherche des moyens de plaire. L’empire de la représentation, la superficialité, l’aliénation au regard d’autrui n’en sont que des dérives. Les liens tissés entre Les Belles Lettres et la vie mondaine, entre l’âge d’or des salons et les ouvrages de l’esprit nous amèneront à interroger de plus près une certaine conception du style, sachant que précisément cette valeur est une valeur à géométrie variable, à mes yeux en prise directe avec un certain positionnement de l’homme dans la société. A ce titre elle a évidemment varié dans ses manifestations au fil du temps.
En effet, l’émergence de la valeur style peut être appréhendée comme la résultante d’une tension consubstantielle à un habitus éminemment social qui nous fait perpétuellement négocier notre demande de reconnaissance entre conformité aux codes d’un groupe, production des insignes de notre appartenance, et, à l’inverse désir d’être distingué. On retrouve là exactement la double postulation du style : la navette entre un pôle universalisant, où se dessinent les constantes, et un pôle singularisant où se lit une appropriation.
Les oscillations qui font émerger les déterminations stylistiques plutôt proches d’un pôle ou de l’autre, sont particulièrement lisibles dans l’évolution des formes des discours et singulièrement celles des discours littéraires dont nous allons donner un aperçu.