Les bombardements aériens de la Deuxième Guerre mondiale : un tabou de la mémoire collective allemande?
Résumé
En 2002, la publication du livre de Jörg Friedrich « Der Brand » (« L’incendie : L'Allemagne sous les bombes 1940-1945 ») a relancé le débat sur les bombardements aériens et le "tabou" dont ils auraient fait l'objet en Allemagne après 1945, tabou déjà dénoncé en 1999 dans le domaine littéraire par le livre de W.G. Sebald « Luftkrieg und Literatur » (« De la destruction comme élément de l’histoire naturelle ») et dont la nouvelle de Günter Grass « Im Krebsgang » (« En Crabe ») ne ferait que confirmer l'existence, dans la mesure où elle illustre l'approche tardive, en cette même année 2002, de la problématique des victimes allemandes de la guerre.
Les tenants et les aboutissants de ce débat sur les bombardements aériens dépassent de loin la question de leur intérêt stratégique, depuis longtemps débattue par les historiens, car à travers une nouvelle appréciation de ces actes de guerre et à travers l'articulation de la souffrance de la population allemande, considérée cette fois comme victime de la guerre, se pose la question de la relativisation des abominations commises pendant le IIIème Reich: si les bombardements sont comparables à la barbarie du génocide – et il y a chez J. Friedrich des formulations qui induisent ce parallèle – alors la singularité du génocide s'en trouve minimisée, et partant la question de la culpabilité. En s’inscrivant dans un mouvement général de retour compassionnel sur le passé et tout en prétendant réparer une injustice, ce livre permet aussi de s’attaquer au statut mémoriel de l’holocauste.