L'intellectuel comme accoucheur d'opinion: la maïeutique selon Martin Walser - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2006

L'intellectuel comme accoucheur d'opinion: la maïeutique selon Martin Walser

Résumé

Le discours que Martin Walser a prononcé à Francfort en 1998 lors de la réception du Prix de la Paix des libraires a fait scandale dès lors qu'Ignatz Bubis, le président du Conseil central des juifs en Allemagne, a traité son auteur "d'incendiaire intellectuel", l'accusant non seulement de vouloir tirer un trait sur le passé nazi, mais aussi de réveiller les pires clichés antisémites et de cautionner ainsi des opinions jusque-là confinées à l'extrême-droite. Ce qui est devenu la querelle Walser-Bubis avait pourtant commencé sous les applaudissements d'une assistance qui rassemblait la fine fleur de la République fédérale. Or, bien que beaucoup d'Allemands aient pu être témoins de cette scène retransmise à la télévision, cette adhésion massive est rapidement passée aux oubliettes. Mais le fait est là: Walser a bel et bien été applaudi par un auditoire aussi représentatif que qualifié et la question est alors de savoir comment 1200 représentants choisis de la société allemande ont pu cautionner un discours bientôt discrédité de la sorte. Si l'on ne se satisfait pas de l'explication par le réflexe conditionné ou par l'aberration incompréhensible, il faut bien convenir que les auditeurs de Walser se sont reconnus dans un discours inspiré par le poids que les crimes nazis continuent de faire peser sur les Allemands d'aujourd'hui et le désir vain d'en être soulagé, un discours qui attaquait la ritualisation du discours comme du travail même de mémoire, qui exprimait le refus de toute bonne conscience affichée ou octroyée, qui revendiquait enfin le droit à l'expression d'une mémoire personnelle, fût-elle en contradiction avec la commémoration officielle. Cette adhésion, même fugitive, montre qu'il y a à côté de l'opinion officielle dominante en matière de travail de mémoire, une autre opinion, officieuse – dont on se débarrasse souvent à bon compte en la rabaissant à des propos de comptoir ou en la reléguant aux marges, mais dont il est douteux, maintenant qu'elle accède à la sphère publique, qu'on puisse la disqualifier comme un "extrémisme du centre". En provoquant cette interférence entre discours officiel et discours officieux, en disant ce qui ne peut être dit en pareille circonstance, Walser a mis en évidence les failles du consensus affiché. Comme chaque fois qu'il s'attaque au discours qui prévaut sur la nation, l'histoire et le rapport au passé, il a été accusé de se faire l'écho d'opinions inavouables et d'enfreindre des tabous. Pourtant, on peut se demander si les débats qu'il suscite ne contribuent pas plutôt à réduire la divergence entre opinion publique et opinion publiée, en engageant un processus de rattrapage entre ces deux opinions que séparent silences et non-dits. A cet égard, Walser paraît tout à fait remplir cette fonction de l'intellectuel défini par Habermas comme "accoucheur d'opinion" – même si Habermas parlant ainsi de Heine lui denierait sans nul doute cette qualité, et ce d'autant plus qu'il figure au premier rang des intellectuels dont Walser, refusant quant à lui de jouer les précepteurs ou les directeurs de conscience, n'a de cesse de remettre en question le rôle de "faiseurs d'opinion".
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-01340894 , version 1 (02-07-2016)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01340894 , version 1

Citer

Marcel Tambarin. L'intellectuel comme accoucheur d'opinion: la maïeutique selon Martin Walser. L’opinion publique dans les pays de langue allemand, Association des Germanistes de l'Enseignement supérieur (A.G.E.S.), May 2004, Toulouse, France. p. 319-328. ⟨hal-01340894⟩

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