Réemploi: une dialectique entre patrimoine(s) et territoire
Résumé
Réemploi et identité(s) de lieux
Le débris est porteur d’histoires : histoire d’une ville, histoire d’un quartier, histoire de
personnes, histoires liées à la grande Histoire. Au cours de cette journée, il sera intéressant
1- De démontrer en quoi le débris, en plus d’être un lien temporel, peut également contribuer
à maintenir, construire ou reconstruire des identités locales, des identités de lieux.
2- De questionner le postulat suivant : Le réemploi peut être un vecteur de
« re-territorialisation », c’est à dire redonner une dynamique constructive singulière, locale et
identitaire au projet d’architecture.
Le réemploi des matériaux en architecture permet de re-questionner la
dimension patrimoniale de l’architecture ou sa valeur de transition temporelle et
narrative à travers la reconsidération des débris.
Dans sa définition du réemploi, Jean-Marc Huygen soulève qu’« en réemployant, on
lègue ainsi aux générations suivantes deux couches d’informations : celle de l’objet nouveau
(appelé lui aussi à devenir obsolète) et celle des premiers objets » (2009).
Le réemploi, à travers la considération des débris, est par là-même une porte d’entrée pour
traiter la question du patrimoine dans l’architecture. Deux types de patrimoine sont à
interroger : celui du patrimoine matériel (histoire et techniques de construction, histoire des
matériaux) et immatériel (savoir-faire, histoire sociale) qui en constituent tous deux le socle,
cela en vue de réaffirmer l’importance du patrimoine (des patrimoines ?) pour bâtir et
constituer le tissu urbain et social. Car, en effet, l’architecture du réemploi convoque la notion
de patrimoine qui, aujourd’hui, à l’heure d’une mondialisation inéluctable, doit dès les
prémices faire partie intégrante du projet d’architecture. Le patrimoine pourrait être considéré
comme ce que l’on conserve du passé en vu d’être transmis. Françoise Choay dote le
patrimoine d’une fonction identificatoire et l’architecture, de quelque période qu’elle soit,
participe indéniablement à cette « fonction identificatoire » du patrimoine d’une société et à
son appartenance à une culture singulière.
Le réemploi, dans sa posture, sa pratique, l’attitude qu’il suppose, aborde et flirte
avec le patrimoine historique « monumental », le patrimoine banal ainsi que le patrimoine
culturel généré par le quotidien des habitants : la considération des débris issus de
démolitions ou de déconstructions nous immerge dans la question de la transmission de la
mémoire. Le réemploi et la réutilisation ne sont pas des pratiques récentes. Nous avons
toujours, dans l’histoire de l’humanité, employé les briques ou les pierres des bâtiments
obsolètes, des fondations ou des murs déjà-là, voire des bâtiments entiers. Le réemploi était
circonstanciel. Il ne s’agit pas aujourd’hui de revenir à des pratiques archaïques dans une
démarche passéiste, mais de se pencher sur ces pratiques ancestrales quasi « intuitives »
pour les réinsérer, les mettre en tension, en complémentarité avec nos pratiques
contemporaines de concepteurs, constructeurs, penseurs de l’architecture, de la société et
par extension, de l’environnement. Le vernaculaire engage la notion de matière non pas
seulement de l’ordre du matériau mais également de l’ordre des savoir-faire et de leur
dimension anthropologique. L’architecture du réemploi aujourd’hui peut réinventer une
nouvelle vernacularité, ou une nouvelle territorialité contemporaine, c’est-à-dire des
modes de construction basés sur des ressources matérielles locales (matériaux, gisements)
et immatérielles (savoirs faire et industries locaux) empruntés au passé tout en étant inscrit
dans le contexte socio-économique et culturel actuel.