Sciences, Raison et Religion en France au XIXe siècle, vol. 1
Résumé
La problématique du rapport entre science et religion au XIXe siècle s’organise autour de quelques personnages-clés et de questions récurrentes. D’abord, le XIXe siècle est immédiatement sous l’influence de l’histoire mouvementée de la fin du XVIIIe siècle. Entre l’ombre de l’abbé Grégoire et l’irruption de Chateaubriand et de Joseph de Maistre dans la littérature la plus lue par le public cultivé catholique d’alors, on passe d’un christianisme humaniste des Lumières à une réaction catholique teintée de piété et de romantisme. Les hommes du premier XIXe siècle, marqués par la Révolution, sont dans le rejet des Lumières, et donc, dans le rejet des sciences et de leur développement, leur préférant une forme d’intelligence soit littéraire et artistique (Chateaubriand), soit religieuse ou philosophique (Joseph de Maistre). Chez ces deux auteurs, le développement des sciences physiques est vu comme desséchant l’esprit, détournant l’homme du vrai sens de son existence. Cette position est fragile et infondée. Le public cultivé du XIXe siècle retiendra cela d’une façon simpliste et l’opposition science – religion marquera les mentalités. Il faut ajouter qu’à partir de Chateaubriand, une sensibilité religieuse émotive ne fera que renforcer l’opposition aux sciences, vues comme froidement objectives.
Parmi les ecclésiastiques acteurs de la vie de l’Eglise et de la société du premier dix-neuvième siècle, certains, comme Mgr Dominique Dufour de Pradt ou l’abbé Louis Bautain, tenteront de promouvoir un rapport plus équilibré entre science et foi. Il faut aussi mentionner le rôle d’Ozanam concernant la place de l’intelligence et de la culture dans l’engagement chrétien. Mais jusqu’en 1830, les responsables politiques et religieux demeurent méfiants vis-à-vis des sciences. Mgr Frayssinous, pourtant Grand Maître de l’Université sous la Restauration, en est un exemple.
Lamennais et Renan donnèrent un premier coup de boutoir dans l’édifice lézardé. Avant même sa rupture avec l’Eglise, Renan avait pressenti l’importance du travail intellectuel et scientifique et la grande difficulté de sa mise en cohérence avec la foi, dans le contexte de l’époque. Une étude précise des textes souligne combien ces deux auteurs se sont attaqués, de manière différente mais non sans recoupement, à la question de la nature de la science qui joue un rôle important dans leurs pensées, surtout chez Renan. Après Renan, et surtout après la rédaction de L’avenir de la science, on a l’impression que la rupture entre Eglise et science est inévitable et quasi consommée ; les années 1850 commenceraient sur fond de conflit général. D’un côté, les épanchements dévots et pseudo-mystiques, de l’autre, un progrès fulgurant des sciences et une masse de scientifiques prestigieux qui, bien souvent, passent pour agnostiques quand ils ne sont pas athées. Or, les choses ne sont pas si simples et la deuxième partie de l’ouvrage montrera que les catholiques ont aussi participé aux mouvements scientifiques du XIXe siècle. La présence des prêtres et religieux catholiques se manifeste surtout dans les sciences naturelles qui sont peu professionnalisées et encore très descriptives. Elles demandent peu de moyens techniques, économiques ou institutionnels, elles ne réclament pas de travailler directement avec l’université ni de s’impliquer quotidiennement dans un laboratoire. Ces hommes d’Eglise, réellement impliqués, sont d’ailleurs peu soutenus par la hiérarchie, qui éprouve jusque vers 1920-1930 une relative frilosité à l’égard des sciences et des techniques. Ils vont précéder quelques très grands savants du début du XXe siècle comme les abbés Bouyssonie, l’abbé Breuil ou le Père Teilhard de Chardin.