Les philosophes devant le « test de Montaigne » Remarques à partir d'une suggestion de Jérôme Schneewind - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Nouveau Bulletin de la Société des Amis de Montaigne Année : 2007

Les philosophes devant le « test de Montaigne » Remarques à partir d'une suggestion de Jérôme Schneewind

Bernard Sève

Résumé

Dans sa récente étude sur la morale de Montaigne, Jerome B. Schneewind rappelle la brillante formule d'Alexander Nehamas selon laquelle les philosophes d'aujourd'hui se donnent pour tâche de « proposer un système de réponses bien reliées pour résoudre des problèmes dispersés » ; puis il conclut que la philosophie de Montaigne n'est pas conforme à cette définition. Les quelques pages que consacre Schneewind à Montaigne dans son Invention de l'autonomie sont à la fois intéressantes et un peu décevantes. L'idée originale de Montaigne est, selon Schneewind , l'invention d'un « test ». Le « test de Montaigne » est de se demander, devant toute doctrine morale : « peut-on vraiment vivre selon cette morale ? cette morale me convainc-t-elle assez pour que je puisse décider de vivre selon ses préceptes ? ». « Même si je ne puis dire si une théorie morale est vraie ou fausse, je puis me demander si cette théorie suscite de ma part une adhésion assez forte pour me motiver de manière stable et durable », commente Schneewind. Il ajoute que, pour passer avec succès le « test de Montaigne », une doctrine morale ou un modèle moral ne doivent pas être utiles au seul sage, qui est chose rare, mais doivent pouvoir éclairer et guider le commun des mortels. Aucune morale ne résiste, selon Schneewind, à un test d'une telle sévérité. Même Socrate, pour Montaigne, n'arrive à vivre constamment selon ses propres préceptes. Mais les quelques principes éthiques auxquels Montaigne adhère sans réserve (la condamnation de la torture, de la cruauté et du mensonge) sont validés parce qu'ils passent le test avec succès. Du point de vue de la problématique propre de Schneewind, qui est celle de l'autonomie, Montaigne ne peut pas être celui qui apporte les réponses mais seulement celui qui pose les bonnes questions — ce genre d'hommage paraît toujours profondément ambivalent. Mais l'hommage devient moins convenu quand Schneewind ajoute : « du jour où il les a posées, les questions de Montaigne n'ont pas cessé de nous occuper ». Montaigne soulève des problèmes que l'on ne peut ni résoudre ni oublier. Cette idée de « test » est sans doute plus féconde que l'usage restreint qu'en fait Schneewind, et nous aimerions en proposer une version généralisée. La notion de test, y compris dans ses aspects dérangeants, nous paraît en consonance avec la pensée de Montaigne. Un test n'est pas une question. La question s'installe dans l'espace de discours de l'interlocuteur ; elle peut partager les présupposés dudit discours, elle peut au contraire les contester, soit directement, soit obliquement et ironiquement. Dans tous ces cas, la question se déploie dans le plan de l'énoncé questionné et de la réponse exigée. Elle reste dans un unique plan, le plan discursif. Le test, lui, opère un changement de plan ; il ne porte pas sur l'énoncé, mais sur l'énonciateur.

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Bernard Sève. Les philosophes devant le « test de Montaigne » Remarques à partir d'une suggestion de Jérôme Schneewind. Nouveau Bulletin de la Société des Amis de Montaigne, 2007, Montaigne parmi les philosophes, juillet-décembre 2007 (1), pp.127-136. ⟨hal-01285009⟩
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