Quelle ville, quelle campagne ? Pratiques et représentations des nouveaux habitants dans la Sierra de Albarracín - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2015

Quelle ville, quelle campagne ? Pratiques et représentations des nouveaux habitants dans la Sierra de Albarracín

Résumé

Les migrations des espaces urbains aux espaces ruraux sont un des phénomènes qui mettent en lumière l'évolution des relations entre villes et campagnes. Dans la plupart des pays occidentaux, les flux migratoires en direction des campagnes montrent que ces espaces sont devenus attractifs pour de nouvelles populations aux profils hétérogènes. Ces migrations sont liées aux mutations des fonctions et des représentations des espaces ruraux, et s'insèrent dans un contexte de mobilité qui rend possible de choisir son lieu de résidence et de dissocier lieu de résidence, de travail, de loisir. Même si le choix résidentiel conduit à s'installer à la campagne, la ville peut rester un espace « proche » et fréquenté. Toutefois, l’hétérogénéité des nouveaux habitants, qui ont une relation au territoire et une maîtrise de la mobilité différentes, nous conduit à questionner la relation qu'ils entretiennent avec la ville. Quelle est-elle ? De quelle manière l'espace urbain est-il perçu et pratiqué ? Selon les profils des nouveaux habitants et les motivations qui les ont conduit à s'installer à la campagne, il est possible de formuler l'hypothèse que les pratiques et les représentations associées à ville et campagnes peuvent être très différentes, y compris au sein d'un même espace. La maîtrise de la mobilité peut être considérée comme un des facteurs qui influe le plus dans ces phénomène. Nous essayerons de répondre à cette question à travers l'exemple de la Sierra de Albarracín, territoire rural dans le sud de l'Aragon, en Espagne. Ce territoire de moyenne montagne est riche en aménités naturelles, avec des paysages variés et préservés, et culturelles, notamment grâce à la petite ville fortifiée d'Albarracín. Ces deux facteurs d'attractivité sont désormais reconnus comme des ressources territoriales. Au cours du XIXème siècle, la Sierra a perdu deux tiers de sa population, qui a migré vers les grandes villes les plus proches : Valence, Barcelone, Saragosse. L'émigration a laissé des traces profondes dans la démographie actuelle, caractérisée par une population vieillissante et une très faible densité. Les petites communes de la Sierra regroupent de quelques dizaines à quelques centaines d'habitants, regroupés dans les centres-bourgs. A partir du début des années 2000, l'immigration a permis une reprise démographique fragile. Les flux migratoires sont composés d'Espagnols, originaires des principales villes du pays, mais aussi de migrants étrangers du Maghreb, de l'Amérique du Sud, de l'Europe de l'Est. Durant notre enquête qualitative menée au cours d'une thèse de doctorat en géographie, nous avons rencontré de nouveaux habitants, d'anciens résidents et des personnes ressources (élus, responsables d'associations). Des entretiens semi-directifs nous ont permis d’appréhender les rapports spatiaux des nouveaux habitants avec le lieu d'installation, ainsi que leurs relations à la ville. Les résultats de l'enquête ont mis en évidence trois profils principaux de nouveaux habitants de la Sierra ; ces trois groupes partagent un même territoire mais n'en partagent pas les représentations, les pratiques spatiales, les modes d'habiter. La relation à la ville et au monde urbain est un point où ces différences sont les plus notables et mettent en évidence les inégalités sociales. Pour les habitants de la Sierra, la ville de référence est Teruel : cette petite ville (environ 35.000 habitants) est le chef lieu de la province homonyme et regroupe tous les services et l'activité économique. Un premier profil regroupe les nouveraux habitants qui s'installent dans la Sierra motivés par des aménités. Ils ont fait le choix, revendiqué, de quitter la ville dont ils sont originaires. L'installation dans un espace rural représente la possibilité de se soustraire aux aspects négatifs de la ville (pollution, bruit, vitesse) pour retrouver un environnement naturel et un autre rythme de vie et de travail. La marginalité territoriale de la Sierra devient un atout, dans le sens où elle est une caractéristique territoriale recherchée et assumée : cela correspond à la volonté de se mettre à l'écart d'une forme de société, dont le monde urbain est l'expression. S'éloigner de la ville signifie alors se mettre à l'écart d'un système de relations économiques, d'injonctions à la consommation et à la mobilité. Cependant, la ville reste présente dans les pratiques spatiales, comme étape obligée (pour les tâches administratives ou pour des services) mais aussi pour la culture et les loisirs. Un deuxième profil est composé de migrants espagnols pour qui la campagne est le conjonction de deux éléments : une part de nécessité financière et une part de rêve. En effet, ils se sont installés dans la Sierra en raison de la crise économique : la perte d'emploi et une situation économique compliquée les a conduit à s'éloigner de la ville. Mais ils sont aussi animés par une volonté d'insertion dans une communauté locale qui est à leurs yeux plus simple à appréhender, où chacun trouve sa place. Leur relation à la ville est alors ambivalente : espace fonctionnel où ils doivent se rendre, elle est aussi un espace qui n'est pas totalement maîtrisé. Par ailleurs, la distance qui les sépare des centres urbains représente parfois une contrainte économique qui alimente un sentiment d'éloignement. Un dernier profil regroupe essentiellement des migrants étrangers qui s'installent dans la Sierra pour trouver un emploi ou pour rejoindre un membre de la famille déjà sur place. Ils n'ont pas choisi d'y vivre et subissent une marginalité spatiale et sociale. La ville est pour eux un point de référence important car elle représente un point de contact avec le monde extérieur : il s'agit d'un lieu où il peuvent rencontrer des personnes, faire un tour dans les magasins, retrouver un anonymat dans un espace public. Elle représente aussi un lieu de connexion avec ailleurs, pour prendre un car, un train ou l'autoroute pour quitter la Sierra. Cependant, la distance et le coût de la mobilité sont un frein pour ces migrants, qui perçoivent la ville comme un espace éloigné où il est difficile de se rendre. Ces trois profils montrent que la relation entre ville et campagne pour les nouveaux habitants est le fruit d'une dialectique entre leurs trajectoires migratoires, leurs aspirations, leurs compétences de mobilité. Si ces espaces sont souvent perçus en opposition, les valeurs qui leur sont associées varient : pour certains migrants, la campagne est l'espace de la liberté et des possibilités. Ils revendiquent la distance à la ville et ont les moyens, culturels et économiques, de renverser les stigmates territoriaux, donnant une nouvelle centralité à la campagne. Pour d'autres migrants, c'est la ville qui représente un espace d'opportunité et de liberté : la marginalité spatiale de l'espace rural ne fait qu'amplifier la marginalité sociale et la campagne devient une « cage verte » que l'on souhaite quitter, sans en avoir les moyens. Ainsi, la dichotomie ville-campagne, qui renvoie aussi à celle centre-périphérie, centralité-marginalité, montre des évolutions des modes d'habiter et a une influence sur les choix résidentiels, mais s'impose en même temps comme un révélateur de nouvelles inégalités socio-spatiales.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-01212550 , version 1 (08-03-2017)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01212550 , version 1

Citer

Greta Tommasi. Quelle ville, quelle campagne ? Pratiques et représentations des nouveaux habitants dans la Sierra de Albarracín. Colloque international Villes et campagnes en relations. Regards croisés Nords/Suds, Jun 2015, Paris, France. ⟨hal-01212550⟩
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