De quelques stéréotypes catégorisateurs du même et de l’autre dans les discours de Dakar, ou l’Afrique fantasmée de deux présidents français
Résumé
Comment appréhender langagièrement l’autre, la différence ? Comment se construit l’identité par cette appréhension ? Cette contribution interroge les discours de Dakar de Nicolas Sarkozy et François Hollande dans la perspective de ce que la praxématique a établi sous la dénomination de dialectique du même, de l’autre, et du soi-même. Notre analyse s’attache à décrire les processus de stéréotypisation et de catégorisation de cet autre qu’est l’Afrique dans les deux allocutions présidentielles, d’abord en nous consacrant aux figures stéréotypiques du paysan africain (1.) et de l’Afrique de tous les malheurs (2.), mais aussi à celles, plus consensuelles, de la croissance et de la démocratie (3.), autant de stéréotypisations qui fonctionnent de manière binaire, opposant, implicitement ou non, l’Afrique et l’Occident. Notre point (4.) rend compte de deux processus langagiers qui semblent remettre en cause la binarité sous-jacente à la stéréotypisation identitaire : associations a priori contradictoires entre stéréotypes et contre-stéréotypes au sein d’un même système, et plus généralement utilisation du paradoxe à des fins argumentatives.
Notre but est non seulement de pointer la complexité des systèmes représentationnels de l’autre, mais aussi de faire émerger les prémices de systèmes organisés et complexes. En effet, chemin faisant, au-delà de la description des stéréotypes de l’Afrique dans deux discours présidentiels français, s’esquisse la problématique des idéologies et du déjà-dit qui gouverne la production des discours, dans un contexte bien précis qui impose ses contraintes : les relations franco-africaines. Dans un tel contexte, marqué par les thématiques, entre autres, de l’interculturalité, de la gestion délicate d’un passé commun, de relations de dominance, la catégorisation de l’autre est un acte de pouvoir, lourd de conséquences tant il participe à la construction ou à la reconduction de l’ordre social. La stéréotypie apparaît donc comme un lieu privilégié où s’élabore l’ipséité : nommer l’autre, c’est aussi mettre en scène le soi-même.
Deux constats principaux se dégagent de cette analyse : d’une part, la permanence de schémas antinomiques issus de l’idéologie coloniale dans le discours de Nicolas Sarkozy, suggérant que l’idéologie du développement et l’idéologie coloniale entretiennent entre elles non seulement des relations de rupture, mais aussi de continuité, d’autre part, le fait que l’impératif économique du développement constitue le dénominateur commun à l’ensemble des stéréotypes, qui, en retour, servent d’arguments pour cette conclusion.