Le rôle des figures culinaires dans la structuration du politique
Résumé
Politique et cuisine ne sont pas des univers étanches, loin s’en faut : au-delà de l’épisode du Fouquet’s qui transforme le nom d’un restaurant célèbre en mot-événement chargé de représenter un type de gouvernance, les discours médiatiques sur la chose politique s’appuient fréquemment sur des expressions empruntées au discours culinaire : qu’on songe à la gauche couscous / caviar (vs la droite cassoulet), à la cuisine politique ou électorale, au fumet de scandale des affaires, ou au titre de la chronique de Jacky Durand dans Libération (« Pendant la campagne présidentielle, Jacky Durand chronique la cuisine politique »). Selon mon analyse, la métaphorisation sous-jacente à la plupart de ces expressions dit un rapport praxique du locuteur au monde, s’appuyant, dans ce cadre, sur une praxis sociale en partage, l’art culinaire, qui est aussi une des deux passions françaises, l’autre étant la politique.
Ces expressions métaphoriques ne sont pas isolées, mais procèdent plutôt d’une figuralité globale permettant de proposer une structuration de la chose politique en termes de pratiques, de propriétés, de procès ou de résultats de procès liés à la cuisine.
Je me propose de travailler sur la relation entre ces deux univers, en montrant (1) comment le discours culinaire, en emploi figural, permet de construire un point de vue plus ou moins partagé sur la chose politique par le filtre d’un script lié à la pratique sociale de la cuisine. Je m’interrogerai ensuite (2) sur le fait que, au-delà d’une métaphorisation somme toute relativement banale eu égard au fait que la politique et la cuisine sont deux domaines constitutifs d’une certaine francité, au-delà aussi de la dimension stylistique ou pittoresque de son emploi, au-delà enfin de la propension des journalistes et chroniqueurs au bon mot, le rapprochement de ces deux univers impose au citoyen lambda une représentation de la chose politique qui n’est sans doute pas étrangère, parmi d’autres phénomènes, à la dévalorisation du politique dans la société. La métaphorisation, de la sorte, serait un point de cristallisation d’un certain pouvoir médiatique, et poserait la question de la responsabilité des médias dans l’appréhension de la chose politique par les citoyens et, par là même, dans la construction de l’imaginaire collectif.