L'esthétique de la nuit
Résumé
La nuit, si on la définit en négatif du jour qui est le temps de la majorité des activités, apparaît alors comme un " contre-temps ", un creux qui permet la régénération des espaces avant le retour de ces activités effervescentes du jour. C'est bien cette temporalité particulière qui séduit nombre d'usagers de la nuit, notamment en milieu urbain : pratiquant un autre temps, on pratique souvent un autre espace dans lequel chacun a le sentiment d'être maître, ayant ainsi plus de libertés. Pourtant, la ville nocturne et la lumière artificielle qui l'accompagne viennent souvent souligner la limite, la frontière. La photographie présentée nous révèle l'éclairage fonctionnaliste et sécuritaire d'un " quartier de grands ensembles " qui cristallise, dans l'imaginaire urbain français, les peurs. Ce qui adviendrait dans (cette forme d'urbanisme) proviendrait de (cette forme d'urbanisme). Raccourci flagrant, et pourtant tenace. L'" insularisation " de ces " espèces d'espaces " (PEREC G., 1974, Espèces d'espaces) est prégnante, et l'éclairage artificiel y tient, de nuit, une part de responsabilité. Aux éclairages léchés du centre-ville historique, joyaux touristique placé dans son écrin de lumière parfaitement travaillée, s'opposent les lampes au sodium et leur pauvreté visuelle. Ici, la nuit objective s'oppose à la nuit du discours. Un discours ponctué des mots " ouverture ", " désenclavement ", " réhabilitation ", mais une réalité nocturne faite des concepts éminemment géographiques d'isolement, d'immobilité, de contournement bref, de limitation du passage.