Enseigner dans les collèges difficiles en France : interactions et perception croisée des élèves et de l'enseignant à propos des incivilités et comportements à connotation violente
Résumé
Les incivilités récurrentes dans les classes et la mise en cause de l'autorité pédagogique des enseignants sont des problèmes d'actualité dans les collèges difficiles en France. Dès 1981, la réussite scolaire pour tous les élèves face aux inégalités sociales motive une politique d'Éducation Prioritaire. Un glissement des priorités des problèmes scolaires vers des problèmes sociaux a conduit depuis 2006 à concentrer les efforts sur les 254 collèges "Réseaux Ambition Réussite" (RAR) les plus " en difficulté " de France. Dans toutes les disciplines, dont l'Education physique, les orientations sont désormais d'aider les élèves en difficulté, contrôler les problèmes de comportement et prévenir la violence. Une littérature importante sur l'enseignement en milieu difficile catégorise les comportements saillants en classe des élèves (Amigues & Kherroubi, 2003) : refus de travailler ; décrochage scolaire ; agitation, parfois violente, contrastant avec la passivité voir l'apathie. Faire travailler les élèves devient alors un vrai problème pour l'enseignant, occasionnant une dépense d'énergie importante face à cette double difficulté d'apprentissage et de comportement social (Carraud, 2006). Pourtant, les enseignants expérimentés parviennent à instaurer de façon relativement viable les conditions d'une activité d'étude acceptable. Bien que ces recherches soient foisonnantes, l'analyse simultanée des expériences vécues par les élèves et les enseignants dans les classes en RAR demeure un objet d'étude peu investi : elles proposent soit une analyse quantitative des comportements déviants et violents des élèves, soit une analyse qualitative des représentations que s'en font les différents acteurs. Notre étude a porté sur 6 leçons de gymnastique conduites par trois professeurs d'EP expérimentés de collèges RAR, avec des élèves portés à perturber l'ordre en classe et en grande difficulté scolaire pour certains. Conduite dans le cadre de l'action située (Suchman, 1987), elle a cherché à comprendre comment l'enseignant construit in situ ses interactions avec les élèves pour réussir à prévenir les débordements de violence dans la classe et installer un contexte d'apprentissage. Des données d'enregistrement audio-visuel des activités en classe, puis d'entretiens d'autoconfrontation post-leçon avec les enseignants et des élèves, ont été recueillies : les premières ont été traitées à l'aide de l'outil ALT-PE (Parker, 1989) remanié, les secondes à l'aide des catégories de l'expérience subjective (Theureau, 2004). L'analyse s'est focalisée sur le lien entre les comportements produits en classe par l'enseignant et les élèves et la perception subjective in situ qu'ils en avaient. Les résultats révèlent une forme d'interaction enseignant-élèves permettant d'obtenir une activité de travail relativement pérenne en classe, malgré des agitations récurrentes mais ponctuelles. Ces interactions sont l'expression d'ajustements tacites et de significations partagées entre l'enseignant et les élèves à propos des comportements déviants et du seuil de tolérance ou sanction à leur accorder. La discussion portera sur le paradoxe d'une autorité "conciliante" comme levier d'apprentissage en milieu difficile (Gal-Petitfaux & Vors, 2008).